Si le succès de l’accord de Paris dépend de nombreux facteurs, un élément clé sera sans aucun doute l’aptitude des pays à s’accorder sur un système de « transparence de la mise en œuvre » robuste et équitable. En effet, la présence d’un processus qui tienne les pays responsables, au niveau international, par rapport aux engagements nationaux qu’ils inscriront dans l’accord, joue un rôle primordial pour établir la confiance entre les pays que leurs voisins s’engagent réellement à donner suite à leur parole. De ce fait, la transparence est également un catalyseur important pour arriver à progressivement hausser l’ambition à travers le régime climatique.
Plusieurs options ont été incluses dans le projet de texte de l’accord en cours de négociation à Genève cette semaine, mais aucun consensus n’a pour l'instant émergé et la forme du futur système de transparence demeure incertaine. Les points essentiels du débat portent sur le besoin d'avoir un unique système de transparence, ou plusieurs, reflétant le principe de différenciation entre les pays, mais aussi sur la portée d’un tel système (doit-il seulement couvrir l’atténuation, ou également l’adaptation et le financement ?), sa fréquence, l’organisme devant le mettre en œuvre, et la définition de ses principes directeurs.
Pourtant, les pays ne partent pas de zéro, loin de là. Sur l’atténuation, ils peuvent s’appuyer sur le système de transparence actuellement en place dans le cadre de la Convention Climat, qui a été créé en 2011 et est entré en pratique en 2014.
Le système de transparence actuel est composé de deux processus parallèles, mais qualitativement distincts, de présentation et de révision pour les pays développés et en développement. Les pays développés font état (dans des « Rapports biennaux ») des progrès réalisés sur leurs objectifs d’émissions à l’échelle globale de l’économie, tandis que les pays en développement fournissent des informations (dans des « Rapports de mise à jour biennaux ») sur la mise en œuvre des mesures d’atténuation.
Ces rapports sont ensuite examinés dans un processus en deux temps, connu sous le nom d’« évaluation et examen au niveau international » (EEI) pour les pays développés, et de « consultation et analyse internationales » (ICA) pour les pays en développement. La première partie consiste en un examen technique mené par un groupe d’experts, et la seconde en un échange en « pairs à pairs » entre les pays, composé de questions-réponses en ligne, suivies d’une session plénière entre les pays. Les résultats du système d’évaluation prennent la forme d’un rapport technique pour la première partie et d’un rapport de synthèse pour la seconde partie.
Si le système actuel est relativement nouveau (le processus de l’ICA, notamment, ne doit débuter qu’en 2016), on peut déjà en tirer un certain nombre de leçons permettant de faire évoluer le système relevant de l’accord de Paris.
Un élément très positif du système de transparence actuel est qu’il a augmenté la fréquence et la périodicité des informations générées par tous les pays. En outre, les Rapports biennaux et les Rapports de mise à jour biennaux constituent la première obligation de déclaration de la Convention axée sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des mesures d’atténuation des pays (contrairement aux Communications Nationales, qui sont des rapports exhaustifs des pays sur les contexte, les politiques, et les inventaires nationaux d’émissions).
Concernant la révision, un élément positif est la façon dont l’examen technique effectué pour les Rapports biennaux a inclus des observations précises sur les progrès des pays en termes de mise en œuvre. Par exemple, dans le cas de l’Espagne, l’équipe d’experts ayant mené l’examen a observé qu’« aucune des projections [...] rapportées dans le Rapport biennal n’indiquent que l’Espagne pourrait atteindre l’objectif décrit dans la décision relative à la répartition de l’effort de l’UE ». Ce à quoi l’Espagne a répondu qu’elle allait donc augmenter son action nationale, et que si cela ne suffisait pas à réduire ses émissions, elle proposerait d’acquérir des crédits de carbone à travers le Mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto.
Pour les États-Unis, l’équipe d’experts a noté qu’il serait « probablement très difficile » d’atteindre l’objectif d’atténuation d’ici 2020 en ne tenant compte que des mesures qui étaient en place jusqu’en 2012. Il est possible que le Plan d’action sur le climat du président Obama permette de combler cet écart. Troisième exemple, l’équipe technique a fait remarquer que d’après les projections figurant dans le Rapport biennal de la Nouvelle-Zélande, les émissions du pays devraient augmenter de près de 30 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2020, alors que son objectif sans condition était une réduction de 5 %. Lors de la révision, la Nouvelle-Zélande a indiqué que le pays entendait utiliser les crédits de carbone internationaux pour combler cet écart d’émissions.
Quant à l’« évaluation multilatérale » – l’échange pairs à pairs pour les pays développés lancé fin 2014 –, très attendue et accueillie favorablement par les Parties, elle a fait l’objet d’une participation importante (par exemple, la session de questions-réponses en ligne a reçu plus de 250 questions).
Malgré ces éléments positifs, le système actuel trahit aussi déjà quelques faiblesses qui devraient être améliorées dans le cadre du nouvel accord. Un point faible important est le manque de clarté quant au but réel des rapports. Ceci se reflète dans l’hétérogénéité des rapports en termes de longueur et de thème privilégié, et dans la confusion des pays résultant du chevauchement avec d’autres rapports obligatoires. Certains ont fourni des informations claires et plus ou moins succinctes sur les progrès réalisés (et les difficultés rencontrées), tandis que d’autres ont semblé cacher leur absence de progrès satisfaisants derrière une liste interminable de politiques de changement climatique aux impacts d’atténuation parfois insignifiants.
L’une des faiblesse du système de révision est que, bien qu’il génère des informations intéressantes tout au long du processus, il n’a pas pour mandat à son terme d’exprimer précisément la position des pays (par exemple de reconnaître les progrès réalisés dans la mise en œuvre des objectifs, ou de soulever des manquements de mise en œuvre auprès de la COP).
Il conviendra de remédier à ces deux faiblesses, parmi d’autres, dans le système de transparence de l’accord de Paris. Les pays devront aussi considérer la façon dont ils traduiront dans le nouveau système de transparence la différenciation qu’ils ont acceptée à Lima concernant leurs contributions prévues déterminées au niveau national (INDCs) – qui doivent refléter « le principe de responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, à la lumière des circonstances nationales » (voir la chronique de Michael Zammit-Cutayar pour plus d’informations). Concrètement, cela soulève la question de savoir comment le double système de transparence actuel doit évoluer pour faire en sorte que tous les pays soient responsables des objectifs auxquels ils se sont eux-mêmes engagés, en tenant compte de l’ensemble diversifié de cibles qu’ils avanceront, ainsi que de leurs capacités variables. C’est l’une des questions soulevées à l’occasion des négociations se tenant actuellement à Genève, certains pays demandant qu’une différenciation entre les pays soit introduite pour chaque élément du futur système de transparence.
Au-delà de l’atténuation, une demande politique se fait de plus en plus entendre pour accroître la transparence des autres éléments de l’accord. Concernant l’adaptation, les pays appellent à l’amélioration du suivi et de l’évaluation des mesures d’adaptation. Cela pourrait être entrepris par exemple par le Comité d’adaptation de la CCNUCC, ou par un nouvel organisme, selon la façon dont les discussions entre les pays évolueront. Au sujet du financement, les exigences de transparence sont centrées sur l’amélioration continue de la transparence de l’aide financière fournie et reçue, ainsi que la clarification du paysage du financement climatique. Des efforts dans ce domaine sont actuellement entrepris, notamment par le Comité permanent des finances de la CCNUCC, et devraient être renforcés dans le cadre du nouvel accord.
Cette charge de travail paraît bien lourde, et elle l’est – la transparence est un élément crucial et également une question épineuse. Toutefois, dans l’accord de Paris, les pays pourraient ne s’entendre que sur les grands principes qui façonneront le nouveau système de transparence – les détails techniques pourraient être élaborés dans les années qui suivent, jusqu’en 2020.