L’adaptation au changement climatique a rapidement pris de l’ampleur dans les négociations climat et sera vraisemblablement un des points d’accord atteignable à Copenhague en décembre. Mais le passage d’un accord sur l’adaptation à une mise en œuvre réelle sera long et demandera de traiter des enjeux théoriques nouveaux, desquels émergera indubitablement une nouvelle conception de la coopération internationale.
À la veille de la conférence de Copenhague (7-18 décembre 2009) sur le changement climatique, Benjamin Garnaud présente la place de l'adaptation dans les négociations. Après avoir replacé les discussions actuelles dans leur contexte, il explicite les différents objets négociés au sein du pilier adaptation. Il présente ensuite les positions et les stratégies de négociation des différents protagonistes, avant de faire le point sur ce qu'il est possible d'attendre de Copenhague.
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L'adaptation au changement climatique a rapidement pris de l'ampleur dans les négociations climat et sera vraisemblablement un des points d'accord atteignable à Copenhague en décembre. Mais le passage d'un accord sur l'addaptation à une mise en oeuvre réelle sera long et demandera de traiter des enjeux théoriques nouveaux, desquels émergera indubitablement une nouvelle conception de la coopération internationale. Dans cette synthèse, nous repla- çons les discussions actuelles dans leur contexte, puis explicitons les différents objets négociés au sein du pilier adaptation. Nous présentons ensuite les positions et les stratégies de négociation des différents protagonistes, avant de faire le point sur ce que l’on peut attendre de Copenhague.
Historique de la prise en charge de l’adaptation dans les négociations
Le changement climatique apparaît sur la scène politique internationale pour la première fois en 1988, lorsque l’ONU adopte une résolution considérant l'évolution du climat comme une "préoccupation commune de l'humanité". En 1990, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) produit son premier rapport qui conduit, en novembre de la même année à une déclaration ministérielle lors de la deuxième conférence mondiale sur le climat recommandant de créer une convention-cadre sur le sujet. L'élan politique impulsé par Rio (1992) contribue ensuite à l'entrée en vigueur de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en 1994, au sein de laquelle s’inscrivent les négociations actuelles.
Dès l’origine, la Convention soulignait l’importance commune de l’atténuation (la réduction des émis- sions de gaz à effet de serre (GES) et/ou le stockage de ces mêmes gaz en dehors de l’atmosphère) et de l’adaptation (la réduction des impacts du changement climatique sur la planète en général et l’homme en particulier). Pourtant, que ce soit dans les négocia- tions, les discussions ou la recherche, l’adaptation était d’abord sous-considérée et l’accent était surtout mis sur l’atténuation. Une première explication de cette « absence » est que le texte de la Convention ne donne pas de définition claire de ce qu’est l’adaptation, ce qui a rendu les débats sur le sujet beaucoup plus abstraits que ceux sur l’atténuation. Parallèlement, l’urgence était de réduire les émissions de GES, et l’on croyait implicitement (ou on voulait croire) que cela suffi- rait à éviter la majeure partie des impacts, en tout cas les plus dangereux. On pensait aussi que l’humanité serait grandement capable de s’adapter aux quelques impacts résiduels sans qu’il soit nécessaire de le plani- fier ou de le centraliser, comme elle l’avait finalement fait pendant toute son histoire.
On sait aujourd’hui qu’on avait tort, mais les quel- ques voix qui s’élevaient pendant les années 1990 pour réclamer que plus d’attention soit portée aux enjeux de l’adaptation étaient généralement considé- rées comme allant à l’encontre d’un effort global de réduction des émissions. Il faut dire qu’à la même époque de nombreux détracteurs des négociations climat utilisaient l’argument de la capacité de l’hu- manité à s’adapter pour minimiser le besoin de s’en- gager dans des actions d’atténuation : pourquoi frei- ner le changement climatique si on est capable de s’adapter ? Cet état de fait poussa Al Gore, alors vice- président des États-Unis, à affirmer son opposition à l’adaptation en déclarant qu’elle représentait « une sorte de paresse, une foi arrogante en notre capacité à réagir à temps pour sauver notre peau »1. Il fallut attendre les années 2000 pour que l’on se rende compte d’une part que les efforts d’atténuation ne suffiraient pas à épargner à la planète des impacts conséquents2 et d’autre part que la croyance en une adaptation automatique globale était infondée, en particulier parce que la vitesse des changements à attendre était trop grande. Cela s’est traduit sur la scène politique internationale par une pression de la part des pays en développement – généralement considérés comme étant les plus exposés aux impacts du changement climatique – et de la société civile pour que le sujet « adaptation » soit enfin réellement à l’ordre du jour. Dès la Conférence des Parties (CdP) de Marrakech en 2001, trois fonds sont mis en place pour l’adaptation et depuis la CdP de Bali (2007), on peut considérer que l’adaptation et l’atténuation sont de plus en plus sur un pied d’égalité en ce qui concerne leur traitement et leur couverture.
Les objets de la négociation
Que négocie-t-on sur ces questions d’adaptation au sein de la CCNUCC ? Si l’on en parle dans le cadre des Nations unies, c’est qu’il y a un besoin de coordination internationale sur le sujet, et ce besoin est triple.
Financement
Le premier, le plus immédiat, est un besoin de financement : on s’attend à ce que l’adapta- tion coûte cher, surtout, relativement, pour les pays les plus pauvres. Par ailleurs, ces derniers avancent l’argument, globalement accepté au- delà du principe de responsabilité commune et différenciée, que ce sont les pays riches qui doivent payer une partie de la facture puisqu’ils sont responsables du changement climatique (qui est causé par leurs émissions de GES depuis la révolution industrielle) : au nom du principe du pollueur-payeur il semble normal qu’ils financent une partie au moins de l’adaptation dans les pays du Sud. À ce titre, les pays du Sud demandent que le finan- cement de l’adaptation soit distinct de l’aide au développement que les pays riches fournis- sent aux pays pauvres sur un principe d’assis- tance. Ils ne considèrent pas le financement de l’adaptation comme une aide mais comme un dû, une dette que les pays du Nord ont contractée auprès d’eux, ce qui, dans le lan- gage des négociations, correspond aux condi- tions de nouveauté et d’additionnalité de ce financement. Deux autres conditions sont celles de la soutenabilité et de la prévisibilité des ressources ; elles correspondent au besoin des pays récipiendaires d’avoir à la fois une garantie et une visibilité sur les futurs finan- cements disponibles pour pouvoir pérenniser leur action. Une dernière condition enfin, la plus évidente, est que ces financements corres- pondent aux besoins ; c’est la condition d’adé- quation. Plusieurs fonds pour l’adaptation ont été mis en place à l’heure actuelle, mais ils ne valident généralement pas les conditions précédentes. La véritable limite, du point de vue des négociations, de l’ensemble de ces fonds est leur inadéquation, c’est-à-dire leur trop faible montant. On a encore beaucoup de mal à estimer les besoins de financement pour l’adaptation à l’horizon 2030 ou 2050, mais les pays en développement ne se contenteront pas des 400 millions de dollars actuellement disponibles au sein de la CCNUCC, auxquels il faut ajouter environ 200 millions par an jusqu’en 2012 pour le Fonds d’adaptation3. Les nombreuses – mais peu fiables – estima- tions des coûts de l’adaptation dans les pays en développement lancent des chiffres allant de la dizaine à la centaine de milliards de dol- lars par an en 2030, soit environ le montant de l’aide publique au développement annuelle globale. Il manque donc certains ordres de grandeur aux ressources actuellement dispo- nibles et il semble clair que les mécanismes existants ne parviendront pas à remplir les exigences de montant. Pour que les négocia- tions aboutissent, il faut donc inventer de nouvelles formes de financement de l’adapta- tion, ce qui occupe une partie importante des négociations. Notons enfin que le financement disponible pour les pays en développement concernera aussi la réduction des émissions dans ces pays, et qu’ils craignent qu’une trop grande mixité des ressources disponibles et des canaux de financements entre adaptation et atténuation réduise indirectement la part disponible pour l’adaptation au profit de l’at- ténuation, qui intéresse plus directement les pays riches, et donc contributeurs. Ils poussent donc à mettre en place une source de finance- ment dédiée et/ou un guichet séparé afin de garantir un minimum pour l’adaptation. Pour autant, les négociations sur l’adaptation ne se résument pas à un transfert d’argent entre le Nord et le Sud. De façon peut-être plus technique mais aussi plus constructive, les pays réfléchissent au fonctionnement de l’architecture financière à mettre en place. Les pays en développement veu- lent sortir du fonctionnement actuel qui passe globalement par les institutions financières inter- nationales (en particulier la Banque mondiale), via le Fonds pour l’environnement mondial notam- ment, et qu’ils jugent trop complexe, trop lent, et donc trop lourd. Ils ont à ce sujet obtenu à la CdP de Poznan (2008) de pouvoir accéder de façon plus directe (c’est-à-dire plus simple et plus rapide) au Fonds d’adaptation. Surtout, ils ne voient pas pour- quoi ils devraient passer par des institutions diri- gées principalement par des pays développés pour avoir accès à des financements qui leur sont dus et réclament une nouvelle forme de gouvernance qui laisse plus de place et de pouvoir dans la gestion des fonds aux pays qui auront à les dépenser. En face, les pays du Nord rechignent à perdre tout contrôle sur l’argent qu’ils transfèrent et brandissent l’ar- gument de la bonne gouvernance de ces fonds et de leur efficacité pour garder une certaine main- mise sur le déboursement. Le Fonds d’adaptation a là aussi été innovant en donnant la majorité aux pays récipiendaires dans son conseil d’administra- tion. Mais au-delà de la gouvernance pure, il faut définir les critères d’éligibilité à ces fonds : qui y aura accès, comment seront répartis les montants disponibles entre les bénéficiaires potentiels, com- ment seront priorisés les zones ou les secteurs d’in- tervention..., bref : comment seront déboursés les financements acquis ? Pour le moment une grande liberté est laissée au Fonds d’adaptation pour défi- nir ces différents critères de déboursement, et faire potentiellement jurisprudence pour le futur accord. La seule « contrainte » établie lors des précédentes négociations est que ces critères soient fortement liés à la vulnérabilité. Les discussions en sont cepen- dant aux prémices et il y a fort à parier qu’elles se prolongeront longtemps après Copenhague : nous sommes encore loin d’avoir à notre disposition des critères de vulnérabilité efficaces, c’est-à-dire qui soient à la fois suffisamment utilisables pour per- mettre de débourser les fonds, et qui ne soient pas si simplificateurs qu’ils manquent leur objectif de contribuer à l’adaptation au changement climati- que. La difficulté de définir ces critères – c’est-à-dire finalement ces clés de répartition des fonds dispo- nibles – peut faire penser que si le déboursement n’est pas limité par les ressources mais par la qua- lité ou la quantité des projets, il se fera de façon clas- sique sur la base du premier arrivé/premier servi. La clé de répartition s’appliquera alors de façon ex post en réattribuant des ressources aux régions ou aux secteurs sous-considérés. La question de savoir si ce fonctionnement – encore hypothétique – est le plus efficace en termes d’adaptation n’est cepen- dant pas encore posée.
Partage global de connaissances et de pratiques de mise en œuvre
Le second besoin de coordination internationale est un besoin de partage global de connaissances et de pratiques pour mettre en œuvre cette adaptation au changement climatique qu’on connaît mal. Des mécanismes d’échange sont mis en place : outre un réseau d’experts dédié, le programme de travail de Nairobi a par exemple été lancé à Montréal en 2005 pour permettre aux pays signataires de la Conven- tion d’améliorer leur compréhension de l’adapta- tion et de la vulnérabilité, et favoriser la prise de décisions les plus informées possibles. Au-delà de ce genre d’initiatives, la Convention pousse à ce que des actions concrètes d’adaptation soient misent en œuvre rapidement, et ce dans une perspective d’apprentissage. La mise en place des plans d’action nationaux aux fins de l’adaptation (PANA) s’inscrit dans ce registre. Ces plans doivent être conçus par les pays les moins avancés (PMA) pour lancer une démarche d’analyse concertée des risques « urgents et immédiats » liés au changement climatique, et d’identification locale de stratégies d’adaptation. Leur préparation et leur mise en œuvre est financée par la CCNUCC, mais après presque huit ans d’exis- tence ils soulèvent de nombreuses critiques. La principale de ces critiques réside dans les difficultés habituelles rencontrées par les pays concernés pour accéder aux ressources et dans la lenteur de mise en œuvre qui en découle. Une autre critique tient au fait que les PANA se limitent pour le moment aux besoins urgents et immédiats, qui sont liés de façon discutable au changement climatique (en pratique la majorité d’entre eux se limitent à des problèmes de variabilité climatique normale, type sécheresse ou inondations) et ne favorisent pas une vision de long terme. La discussion concernant leur avenir est donc en cours et hésite entre un abandon pur et simple pour recréer un cadre d’action plus glo- bal et basé sur une vision plus programmatique (à l’opposé d’une vision projets), ou une extension des PANA à la fois dans le temps (ne pas se limiter aux besoins urgents et immédiats mais s’orienter peu à peu vers le long terme), dans l’espace (ne pas se focaliser sur les PMA mais y intégrer l’ensemble des pays en développement, voire les pays développés) et dans la portée (en abordant l’enjeu de l’intégra- tion de l’adaptation et du changement climatique dans l’ensemble des plans, politiques, projets et sec- teurs des pays concernés).
Mécanisme global de réduction des risques
Le troisième besoin de coordination, en partie commun aux deux précédents, est le besoin d’un mécanisme global de réduction des risques, princi- palement destiné aux pays du Sud qui en sont géné- ralement dépourvus. Ce mécanisme comporte deux piliers dont le premier, un pilier assurantiel, suscite de nombreux intérêts. Ce pilier recouvre lui-même plusieurs niveaux d’action : un premier niveau d’as- surance locale et de micro-assurance ; un second niveau d’assurances nationales qui permettraient à ces pays de faire face beaucoup plus rapidement que maintenant aux catastrophes climatiques qui les frappent ; et un troisième niveau qui prendrait la forme d’un mécanisme de réassurance régional ou global et permettrait d’étaler les risques climati- ques sur des régions plus grandes. Les pays riches ne sont pas contre l’idée de contribuer à une partie de l’instrument en payant par exemple une partie des primes d’assurance. Si ce premier pilier reçoit beaucoup d’attention au cours des pourparlers actuels – en partie sous la pression des grands réas- sureurs –, il ne doit pas faire oublier le second pilier, indispensable à la soutenabilité et à l’efficacité du premier : un effort global de prévention des risques. L’orientation actuelle des négociations donne à pen- ser que ce deuxième pilier sera moins abouti que le pilier assurantiel et fait craindre que l’objectif de réduction des risques de ce mécanisme soit délaissé au profit d’un projet d’assurance global, certes atti- rant, mais potentiellement contre-productif en ter- mes d’adaptation au changement climatique.
Stratégies et positions de négociation
La lecture des négociations sur l’adaptation est sûre- ment plus simple que celle concernant l’atténua- tion, en particulier parce qu’elles sont plus jeunes et que la question du financement y est relativement facilité par le fait qu’il n’invoque pas d’enjeux de compétitivité entre pays émergents et pays indus- trialisés. Cependant, la vision simpliste d’un Nord qui négocie avec un Sud sur des questions de trans- ferts de fonds cache des subtilités importantes pour le déroulement des négociations et l’aboutissement, ou non, à un accord à Copenhague. D’abord, comme nous l’avons souligné précédemment, ce n’est pas qu’une question d’argent. Il semble que la négo- ciation n’achoppera pas sur des questions de mon- tants, et que la principale difficulté résidera dans la création d’une architecture globale acceptée par tous, architecture qui regroupera les points épineux de l’origine des fonds, de leur gouvernance et de leur répartition.
La question de l’origine des fonds nous amène à nuan- cer ce propos : la négociation n’achoppera pas sur les questions de montants (tout le monde est à peu près d’accord sur des besoins annuels de l’ordre de la centaine de milliards de dollars, pour l’atténuation et l’adaptation dans le Sud, sous toutes les formes – qu’il s’agisse de fonds publics ou privés, domestiques ou internationaux), si les pays du Nord ne sont pas ame- nés à prendre un par un des engagements chiffrés, auquel cas les discussions seraient nettement plus compliquées. Il est cependant vraisemblable que les pays riches n’aillent pas au-delà d’engagements glo- baux annuels pour ce qui est des montants à Copen- hague, et que les négociations portent plus sur la façon de collecter les fonds nécessaires. À ce sujet, on peut se demander si la condition de prévisibilité du finance- ment est compatible avec la volonté des pays du Nord d’inclure une part importante de contribution budgé- taire. On connaît la difficulté qu’éprouvent ces derniers à tenir leurs engagements en matière d’aide publique au développement, aide totalement budgétaire et donc soumise au contrôle de l’État. Sur ces questions de montant, rappelons enfin que la part publique de la proposition européenne de financement pour les politiques climatiques des pays en développement (regroupant donc atténuation et adaptation) atteint entre 22 et 50 milliards d’euros par an en 2020 pour l’ensemble des donateurs – à rapprocher par exemple des 120 milliards de dollars annuels d’aide publique au développement totale actuelle (à laquelle la France contribue à hauteur d’environ 10 %).
La gouvernance des fonds dédiés à l’adaptation est une autre question épineuse car, comme nous l’avons vu, les pays en développement veulent à la fois sortir des institutions existantes qu’ils jugent inefficaces et obtenir une majorité décisionnelle dans la nouvelle architecture climat par rapport aux pays riches. Rappelons encore une fois que les pays pauvres ne voient pas le financement de l’adapta- tion comme un don mais comme un dû, et qu’ils ne tiennent pas à ce que les pays riches soient en position de leur dicter la façon dont ils l’utilisent. De leur côté, ces derniers ne sont pas prêts à aban- donner tout contrôle sur l’argent qu’ils transfèrent, aussi bien pour des raisons politiques que techni- ques liées à un souci d’efficacité et de qualité des projets. Le Fonds d’adaptation jouera à cet égard un rôle de précédent puisque, conformément à la déci- sion adoptée à Poznan en 2008, il sera géré de façon autonome par un conseil d’administration composé majoritairement de pays en développement.
La question de la répartition nous amène au troi- sième point : le Sud n’est pas totalement uni face à l’utilisation des fonds d’adaptation puisque les res- sources seront limitées. S’il est acquis qu’ils iront prioritairement aux plus vulnérables, rien n’est dit de la façon dont sont définis ces plus vulnéra- bles et surtout qui cela concerne. Suivant que l’on aborde la question en termes de pays ou de régions infranationales par exemple, la quantité d’argent allant aux pays relativement aisés mais ayant des régions pauvres et/ou vulnérables (on pense aux pays émergents), et donc n’allant pas aux PMA ou aux petites îles, sera totalement différente. Qui plus est, certains pays en développement sont déjà ou deviendront de gros émetteurs de GES, contribuant au changement climatique et sortant donc du club des pays faiblement contributeurs mais fortement impactés. Ce faisant, leur position de négociation change, en particulier sur l’origine du financement de l’adaptation. Devenant pollueurs, deviennent- ils payeurs ? Ajoutons enfin pour l’anecdote que certains pays en développement, gros producteurs de pétrole, insistent sur la nécessité de les aider à s’adapter aux mesures d’atténuation prises par les pays développés, c’est-à-dire à la baisse attendue de la demande en énergies fossiles.
À un niveau plus général, les négociations sur l’adaptation peuvent être vues comme une mon- naie d’échange avec l’atténuation : les pays du Nord « achètent » la participation des pays du Sud aux efforts de réduction des émissions, alors que ces pays du Sud ne contribuent encore que très fai- blement aux émissions globales (sans parler de leur responsabilité historique minime). De façon semblable, certains avancent aussi que l’ampleur prise par les discussions sur l’adaptation corres- pond à une volonté de dédouanement de la part du Nord, qui y verrait un moyen de « compenser » la faiblesse de son action sur le pilier atténuation. Si ça a pu être le cas aux débuts de la réelle prise en compte de l’adaptation dans les négociations, il est devenu difficile aujourd’hui de ne soutenir que ce point de vue. Une nouvelle dimension a pris le pas sur ce premier moteur de la montée en puissance de l’adaptation : c’est la prise de conscience par un nombre croissant d’acteurs extranationaux de l’en- jeu financier des négociations. L’adaptation n’est pas un secteur en soit mais concerne l’ensemble des dimensions d’une société. Un nombre croissant de protagonistes de la coopération internationale en général et du monde du développement en parti- culier ont donc vu leur implication potentielle dans le résultat de ces négociations et ont poussé à ce que les discussions sur le financement prennent de l’ampleur. Sans aller jusqu’à voir les pourparlers comme des zones de lobbying intense, il est utile de comprendre quels jeux d’acteurs extranationaux ils engendrent et comment ceux-ci influencent dans une certaine mesure les propositions, le déroule- ment et le résultat des négociations.
Que peut-on attendre de copenhague ?
Les États parties à la CCNUCC climat sont glo- balement d’accord sur l’idée d’un transfert de fonds du Nord vers le Sud pour financer une partie au moins de l’adaptation de ces derniers au changement climatique. On peut donc rai- sonnablement penser qu’un accord sur l’adap- tation sera trouvé à Copenhague en décembre. Trois obstacles pourraient cependant apparaî- tre. D’abord, il se peut que les pays du Nord utilisent l’adaptation comme une carte à ne pas abattre tant qu’ils n’ont pas l’accord qui leur convient sur les autres piliers de négociations, auquel cas ils bloqueront l’avancée des discus- sions sur l’adaptation pour mettre la pression sur les autres pays, en particulier de façon indi- recte sur les pays émergents (en obtenant des PMA qu’ils mettent eux aussi la pression sur ces derniers). De façon identique, et c’est le deuxième obstacle, les pays en développement peuvent bloquer les négociations sur l’adap- tation pour exprimer leur mécontentement sur le manque d’ambition du Nord en ce qui concerne l’atténuation. Les pays du Nord en général et l’Europe en particulier ne veulent pas apparaître comme de mauvaise volonté ou ne voulant pas aider les plus pauvres, ce qui donne un vrai levier aux pays reconnus comme les plus vulnérables (PMA, petites îles et Afri- que en général) qui disposent d’un capital sym- pathie important auprès de la société civile et qui peuvent faire mine de bloquer la négocia- tion si l’accord ne leur convient pas. C’est ce qui s’est passé à la CdP de 2008 à Poznan et leur a permis d’obtenir des concessions majeu- res de la part des pays développés sur l’opéra- tionnalisation du Fonds d’adaptation. Ces pays sont d’ailleurs souvent frustrés par la négocia- tion qu’ils jugent trop lente et inefficace : ils se sont prêtés au jeu de la définition des PANA et ont beaucoup de mal à les faire financer. Ils refusent de perdre plus de temps sur des questions de planification et veulent traiter de mise en œuvre concrète. Il est donc fort possi- ble qu’ils jouent cette carte assez vite à Copen- hague. Un troisième obstacle potentiel est le fait que la négociation sur l’adaptation y sera certainement fractionnée : tous les sujets n’y seront pas aboutis, en particulier la question de la répartition des ressources disponibles. Cela peut éventuellement faire peur à certains pays qui, pour des jeux de négociations, ne voudront pas arrêter un accord sur une partie seulement de la discussion « adaptation ».
De façon vraisemblable cependant, Copenhague permettra de se mettre d’accord sur l’image glo- bale d’une architecture financière et des modali- tés de mise en œuvre et de planification. Tout n’y sera cependant pas décidé, et de nombreux détails (d’importance variable) devront être arrêtés d’ici 20124. L’enjeu de Copenhague est donc d’arriver a minima à un squelette suffisamment fourni pour que les discussions postérieures n’en soient pas ralenties et que l’architecture soit opérationnelle en 2013. Les difficultés d’opérationnalisation du Fonds d’adaptation, qui n’a toujours pas financé son pre- mier projet huit ans après sa création et ne le fera vraisemblablement pas avant Copenhague, sont la preuve que le chemin est long d’une volonté écrite et signée à une réalité, et qu’un accord trop flou sur l’adaptation retardera significativement sa mise en œuvre sur un plan international.
À ce sujet, plusieurs points théoriques n’ont pas été suffisamment approfondis creusés jusqu’à pré- sent et risquent au mieux de ne pas être traités à Copenhague, au pire d’être traités à la va-vite (ce qui fragilisera l’accord dans le futur). Le premier point, que l’on a déjà évoqué, concerne la difficulté de définir de façon efficace et utilisable qui sont ces « plus vulnérables » qui seront prioritaires pour le financement et la mise en œuvre de l’adaptation. La recherche sur ce domaine en est à ses prémices et rien n’en est sorti qui permette de traiter la ques- tion au niveau international. Le danger, que l’on pressent déjà5, est d’identifier niveau de vulnérabi- lité et niveau de richesse, au risque de ne pas tenir compte des capacités d’adaptation spécifiques des plus pauvres ni des vulnérabilités des moins pau- vres, et de favoriser une adaptation sous-optimale. Un deuxième point concerne l’objet de l’adaptation (à quoi s’adapte-t-on ?). Il est en effet difficile de distinguer entre variabilité climatique naturelle (ce qui fait qu’il y a des étés plus ou moins chauds, des sécheresses, des inondations, des cyclones) et chan- gement climatique d’origine anthropique, et ce pour plusieurs décennies à venir. En pratique ce n’est pas vraiment un problème puisqu’il ne s’agit pas de s’adapter à l’un ou à l’autre mais bien au deux. Pour- tant, au niveau des négociations, l’enjeu est réel : les pays riches, qui « payent » aux pays plus pauvres leur pollution passée, ne tiennent pas à compenser des pertes qui ne sont pas liées au changement cli- matique. La théorie voudrait donc que les ressour- ces étiquetées « adaptation au changement climati- que » ne financent que le coût additionnel imposé par le changement climatique. Mais c’est d’une part impossible (d’un point de vue scientifique on n’est pas capable de définir la responsabilité du changement climatique dans tel ou tel évènement) et d’autre part tout à fait contre-productif : on ne finance pas l’adaptation au changement climatique si on n’est pas d’abord adapté au climat actuel. On voit pourtant que cette ambiguïté pose problème pour la définition d’instruments de financement et de règles de déboursement. C’est très clair dans le cas d’un mécanisme assurantiel : lancé en 2013, un tel mécanisme assurerait principalement les pays et leurs habitants contre des risques liés à la variabilité naturelle et actuelle ; la part des dégâts causés par le changement climatique sera encore minime. À quelle hauteur les pays du Nord devraient-ils alors y contribuer ? Là encore il semble à peu près acquis que Copenhague ne permettra pas de trancher dans ces termes. Une solution semble se profiler qui consisterait à éluder la question en négociant une enveloppe de financement de l’adaptation de façon partiellement déconnectée des estimations scientifiques, et ensuite de la débourser selon les critères mis en place par la CdP. La connexion de ce déboursement avec la réalité scientifique du changement climatique est finalement secondaire, si l’on s’assure tout de même que l’argent étiqueté « adaptation » contribue bien à l’adaptation dans le Sud. Une autre solution pourrait être de négocier secteur par secteur et/ou pays par pays la propor- tion de la contribution aux projets à composante climatique. Mais c’est là un travail de négociation beaucoup plus long, au cas par cas, mettant en face d’un pays du Sud l’ensemble des pays du Nord, et qui a peu de chance de recevoir les faveurs des pays en développement.
Un dernier point dur concerne le lien entre finan- cement de l’adaptation et aide publique au déve- loppement. On a vu qu’il n’était pas question pour les pays du Sud d’accepter que le financement soit assimilé d’une façon quelconque à l’aide au déve- loppement : l’adaptation n’est pas de l’assistance, et son financement ne doit pas en revêtir la forme ni s’y substituer. Ce point de vue est globalement acquis, et il est peu probable qu’il soit remis en cause à Copenhague. Dans le même temps, on sait aussi que l’adaptation d’une société ou d’une éco- nomie au changement climatique ne se limite pas à des projets spécifiques, et qu’une part importante – voire prépondérante – de cette adaptation passe par l’intégration de considérations liées au change- ment climatique dans le fonctionnement « de rou- tine » de cette société ou économie. Les discussions au sein de la Convention prennent en partie cet aspect en compte en promouvant une vision plus holistique de l’adaptation, et on peut penser que les PANA évolueront dans ce sens. Les pourparlers ont par contre tendance à se crisper quand il s’agit de l’aide au développement et de l’intégration de considérations climatiques. Pourtant, le dévelop- pement doit contribuer à réduire la vulnérabilité au changement climatique, et à l’opposé de nom- breux projets d’adaptation sont aussi des projets de développement. Il y a donc clairement des syner- gies à créer entre les deux. C’est aussi vrai en ce qui concerne les canaux de déboursement et de mise en œuvre : ça ne fait pas vraiment de sens d’en créer de nouveaux si adaptation et développement sont si proches. En outre on retrouve le même risque de sélection adverse qu’avec le mécanisme de déve- loppement propre : à trop distinguer adaptation et développement, on en viendra à financer les projets dont le coût additionnel dû au changement clima- tique est le plus fort, au détriment des projets les plus efficaces et les plus nécessaires, qui ressemble- ront fortement à des projets de développement. Il y a donc une possibilité de découpler les sources de financement – qui doivent être nouvelles et addi- tionnelles à l’aide publique au développement – de l’utilisation de ce financement – qui sera d’autant plus efficace qu’elle se fondra dans l’architecture de l’aide au développement. Ceci étant dit, les pays en développement ne se contenteront pas d’un statu quo concernant le fonctionnement de cette architec- ture et leur voix n’aura de fait pas la même valeur s’ils parlent au nom de l’adaptation (puisqu’encore une fois ils ne considèrent pas que ce soit de l’aide). Ils sont d’accord pour que le financement de l’adap- tation passe par les canaux habituels de l’aide au développement, à la condition que soient trouvées de nouvelles sources de financement et que la gou- vernance de ces canaux soit réinventée. De ce point de vue, les négociations climat offriraient une occa- sion exceptionnelle de revoir le fonctionnement des institutions internationales sur cette question de l’aide au développement à la lumière des nom- breuses limites qu’elle a montrées ces dernières décennies.
1. al Gore (1992) Earth in the Balance: Ecology and the Human Spirit, houghton mifflin, boston, 416 p. (p. 240)
2. l’objectif d’un réchauffement limité à 2°c d’ici la fin du siècle, auquel font référence de nombreux pays, n’affranchit pas la planète de la néces- sité de s’adapter à des changements climatiques potentiellement impor- tants, à tel point que les petites îles en développement demandent de baisser l’objectif à 1,5°c. notons à ce sujet que la somme des proposi- tions d’engagement actuelles des pays industrialisés rend de moins en moins probable l’atteinte de l’objectif de 2°c, et donc de plus en plus probable des besoins d’adaptation encore plus conséquents.
3. Il convient de noter ici que le Fonds d’adaptation est principalement abondé par les recettes issues de la monétarisation de 2 % des crédits issus du mécanisme de développement propre (mdp), ce qui peut paraître étonnant au regard de la volonté globale de réduire les émissions de gaz à effet de serre auquel sont censés contribuer les projets mdp.
4. 2012 correspond à la fin de la période d’engagement du protocole de Kyoto, et 2013 sera (espérons-le) le début de l’architecture post-Kyoto qui sera décidée (ou non) à copenhague. Il est vraisemblable que cette architecture contienne dès le début l’ensemble des dispositions liées à l’adaptation, en particulier le mécanisme de financement.
5. voir par exemple undp (2007) Briefing note : Doing development differently