Dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, une place importante est accordée à la demande d’énergie, c’est-à-dire aux niveaux de consommations d’énergie des ménages et à leurs déterminants. Afin d’identifier les questions auxquelles devront répondre le débat public et les éléments de politique publique dédiés à la diminution de la consommation d’énergie directe nécessaire à la transition énergétique, il convient de disposer des ordres de grandeurs associés aux consommations d’énergie directe de plusieurs ménages français « types ». Les consommations d’énergie directes sont celles qui apparaissent sur les factures des consommateurs, et sont présentées ici dans une unité de consommation journalière intelligible, le kWh, présente sur toutes les factures d’électricité.

Les enjeux mis en évidence renvoient notamment à l’importance des choix technologiques qui peuvent faire varier les consommations d’un facteur quatre pour un même niveau de service et la capacité inégale des ménages à réduire leurs consommations d’énergie directes, certaines relevant de choix de modes de vie, d’autres de contraintes socio-économiques et d’autres enfin d’une combinaison des deux.

  • LA CONSOMMATION D’ÉNERGIE D’UN MÉNAGE-TYPE DE DEUX PERSONNES

Prenons pour référence un ménage-type de deux personnes3 qui habite dans un logement collectif de 60 m2 et dispose d’un panier d’équipements électroménagers achetés en 2005. Nous ne nous intéressons pas ici aux valeurs moyennes nationales qui ne correspondent pas directement à une « réalité » de consommation.

Le premier poste de consommation d’énergie directe est le transport, avec 35 kWh par jour. Les habitants de notre ménage-type se rendent à leur travail en voiture ; ils possèdent l’équivalent de deux routières moyenne gamme (consommant toutes deux 7 L aux 100 km) et sont seuls à bord. En 12 km de trajet, ils consomment chacun environ un peu plus de 17 kWh pour l’aller-retour.

Remarquons que la production de chaleur demeure un poste de consommation majeure après les transports. Le chauffage et l’eau chaude sanitaire (ECS), requièrent 19,2 kWh par jour. Il s’agit là du chauffage (nous supposons un logement nécessitant 80 kWh de chaleur par an et par m2, c’est un immeuble récent, conforme à la Réglementation thermique 2005), mais aussi de l’eau chaude pour la toilette : une douche chaude de 5 minutes requiert 3 kWh.

L’électricité dite « spécifique » (appareils électriques et éclairage) ne représente que 10 % de la consommation d’énergie directe de notre ménage, soit 6,4 kWh. L’éclairage seul pèse 0,6 kWh (le ménage allume 3 ampoules basses consommation de 8 W et 3 ampoules de 60 W trois heures par jour). Pour comparer avec les ordres de grandeurs habituels, un ménage français dispose en moyenne de 28 points lumineux4, et la moyenne nationale est de 0,8 kWh par jour et par ménage pour l’éclairage. On notera également que la consommation des appareils en veille est équivalente à la consommation journalière d’un lave-vaisselle.

À titre de comparaison, la moyenne française est de 40 kWh pour le transport, 39 kWh pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire et la cuisson, et 7,6 kWh pour l’électricité spécifique.

  • VARIATIONS DE CONSOMMATION PAR RAPPORT AU MÉNAGE-TYPE

Mais, sur la base de ce ménage-type, il existe des variations de consommation d’énergie directe permettant d’expliquer des bilans énergétiques qui différent d’un ménage à l’autre. Ces différences peuvent être expliquées par plusieurs facteurs qui doivent être traités séparément, car ils n’ont pas les mêmes implications sur le type de politiques de réduction des consommations à mettre en oeuvre.

Dans un premier temps, nous reprenons le ménage-type, et nous comparons deux nouvelles situations : dans l’une, le ménage est doté d’équipements très efficaces sur le plan énergétique, et dans l’autre, il est doté d’équipements anciens très énergivores. Dans un second temps, nous regardons un ménage aux comportements très énergivores : ceux-ci peuvent être le résultat du mode de vie choisi par le ménage, mais peuvent aussi résulter d’un ensemble de contraintes économiques, sociales ou infrastructurelles.

Impact de la performance technique des équipements

Nous présentons ici la consommation d’énergie directe d’un ménage équipé avec des équipements efficaces en énergie disponibles sur le marché et celle d’un ménage qui en fait les mêmes usages, mais équipé d’appareils anciens et moins efficaces. Le premier ménage correspondrait à un jeune couple devant équiper la totalité de son logement et choisissant les équipements les mieux notés (équivalents A++) en vente à début 2013. Son logement est neuf (label type « PassivHaus » ou « Effinergie ») et consomme 20 kWh thermiques/ m2/an. Il a une excellente isolation thermique, supérieure à la norme RT 2012. Le couple dispose de deux petites voitures de ville consommant 4 L aux 100 km en moyenne.

L’autre ménage, dit énergivore, dispose d’équipements en fin de vie achetés au début des années 2000 (réfrigérateur classe B/C, lave-lingelave- vaisselle classe A/B, four classe B, etc.), d’un logement particulièrement mal isolé, simple vitrage et au dernier étage – nous supposons un besoin de 250 kWh thermique par m2 et par an) et de voitures familiales anciennes, consommant 10 L aux 100 km. La surface de logement et l’usage fait des appareils restent identiques. Nous ne nous intéressons ici qu’aux caractéristiques des équipements.

Si les services finaux sont les mêmes, la structure et les niveaux de consommations d’énergie directe du ménage « efficace » et ceux du ménage « énergivore » évoluent considérablement. Le ménage efficace consomme 30 kWh par jour. C’est essentiellement la baisse de la consommation en chauffage, qui a été divisée par trois, et celle des coûts énergétique liés au transport, divisée par deux (avec le même niveau de service), qui permettent ces évolutions. La part du transport prend une place importante dans le bilan énergétique du ménage efficace (70 % contre 56 % pour notre ménage-type) – les gains énergétiques potentiels dans l’isolation du bâti sont nettement plus élevés que les gains possibles avec un moteur thermique. Notons également que si l’électricité spécifique et le besoin de chauffage sont identiques, la tendance est à l’inversion des courbes de consommation d’électricité spécifique et de chauffage (qui tend à saturer).

Le ménage énergivore consomme trois fois plus d’énergie directe que le ménage efficace. Son bilan journalier est de 113 kWh par jour, dominé par les besoins en chauffage de l’espace et en transport. L’électricité spécifique pèse un sixième du bilan, soit 14 kWh par jour, ou 5 fois plus que le ménage efficace.

En renouvelant intégralement son stock d’appareils et ses véhicules en fin de cycle de vie et en choisissant uniquement les appareils les plus économes, le ménage énergivore pourrait passer d’une consommation de 113 kWh à une consommation de 80 kWh par jour. Il resterait à rénover son logement, opération plus difficile à mettre en oeuvre et qui pose, plus encore que pour le renouvellement des appareils, la question du financement.

Les études sur le niveau de vie et l’énergie directe montrent que la consommation augmente, en moyenne, avec le revenu. Les ménages ayant des moyens financiers élevés peuvent atteindre des niveaux de consommation directe élevés. Mais ces moyennes cachent encore de fortes disparités. Il y a au sein de chaque groupe de revenu de très fortes variations5. Il convient de mieux distinguer consommation d’énergie choisie et consommation contrainte.

Consommation d’énergie « choisie »

Étudions maintenant la consommation d’énergie d’un ménage au mode de vie intensif en énergie dite directe. Cette intensité est le fait de trois facteurs, il dispose d’appareils énergivores, de beaucoup d’entre eux et les utilise intensivement. On suppose qu’il est équipé d’un 4x4 urbain utilisé pour les petits déplacements, qu’il se déplace plus pour aller travailler (40 km aller-retour), qu’il habite une maison individuelle de 150 m2 et chauffe à 23°C. Ses équipements électroménagers sont plus gros et plus consommateurs (réfrigérateur « américain », qui consomme 3 fois plus qu’un réfrigérateur standard), et il dispose également d’équipements que ne possèdent pas les autres ménages (une piscine qui consomme 6 kWh par jour).

La consommation du ménage est de 220 kWh par jour. Ce niveau de consommation est porté par le transport (98 kWh), le chauffage et l’ECS (92 kWh) et l’électricité spécifique (29 kWh). L’intérêt de se représenter ce ménage-type est de montrer le caractère choisi de ces consommations supérieures à la moyenne. Le ménage utilise une grosse cylindrée sur des trajets domicile-travail, ce qui n’est pas nécessaire pour le service demandé.

Consommation d’énergie « contrainte »

Nous étudions ici des comportements de consommation contraints. Le ménage ne pouvant pas trouver de logement dans la capitale et accédant à la propriété là où le foncier est plus abordable, c’està- dire plus loin en Île-de-France, habite en périurbain. Il dispose d’un équipement standard, mais l’un des deux membres effectue 100 km de transport par jour pour se rendre au travail et le ménage loue un 60 m2 mal isolé (consommant 300 kWh/ an/m2). Pour le reste, il est identique, dans son comportement et dans son stock d’appareils, à notre ménage-type.

La consommation de ce ménage, 150 kWh par jour, est deux fois supérieure à celle du ménagetype. Le chauffage et le transport représentent plus de 95 % de ses consommations d’énergie directe. Cet exemple met en lumière le caractère contraint de certaines dépenses énergétiques et soulève de nombreuses question relatives à la mise en place de politiques publiques de sobriété énergétique. C’est sur ces ménages contraints que porte tout le débat sur la précarité énergétique et la vulnérabilité (cf. Chancel, Saujot, 2013). Ce sont ces contraintes qu’il faut réinterroger à l’aune de la transition énergétique.

  • AGIR SUR LES CONSOMMATIONS DIRECTES D’ÉNERGIE

Agir sur les consommations d’énergie directe au travers des politiques publiques nous oblige donc à distinguer plusieurs enjeux. Nous avons mis en avant l’importance de la performance de l’équipement, qui peut expliquer des écarts de consommation d’énergie d’un facteur quatre pour le même niveau de service. Mais le renouvellement des équipements est soumis à plusieurs contraintes, liées à la fois à la durée de vie des appareils (il faut distinguer alors les appareils électriques et le bâti avec des temps de renouvellement allant de quelques mois à plusieurs dizaines d’années) et aux choix des consommateurs, qui s’expliquent par l’information, leur disponibilité ou leurs finances.

Avec l’évolution des caractéristiques techniques des équipements, les consommations de chauffage au domicile tendent à décroître fortement, tandis que celles d’électricité spécifique sont soumises à un double mouvement d’efficacité et de multiplication des nouveaux usages (comme les technologies de l’information et de la communication). Pour produire cette électricité, il faut plus d’énergie primaire que pour produire un kWh de gaz ou d’essence, ce qui pose la question du périmètre des consommations d’énergie que l’on regarde.

Enfin, certains comportements énergivores s’expliquent par un choix de mode de vie, de reconnaissance sociale ou de mimétisme comportemental que l’on peut tenter d’infléchir (par des normes, en jouant sur les prix via les taxes par exemple ou en informant), tandis que d’autres relèvent d’un cadre de contraintes (nouvel emploi éloigné de son domicile, maison trop grande suite au départ des enfants, occupation locative) que l’on ne peut lever qu’au travers de réformes structurelles (réseaux de transport, plan de rénovation du bâti).

Les discussions et les débats sur la consommation d’énergie directe se doivent de prendre en compte ces différents facteurs, car les politiques publiques à mettre en place agissent sur des leviers différents suivant qu’il s’agit d’augmenter la performance énergétique des équipements, de réduire les contraintes structurelles ou d’infléchir les modes de vie.

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