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Les discussions du paquet "Climat et Énergie" interragissent avec les questions forestières de plusieurs manières. Premièrement, la compréhension et l'acceptation de la proposition de partage de l'effort intraeuropéen (secteur non-SCEQE) dépend de la façon dont sont comptabilisés les puits de carbone forestiers nationaux des États membres. Deuxièmement, la révision du Système communautaire d’échange de quotas d’émis- sions (Sceqe) peut être une occasion de générer des moyens pour le financement de la lutte contre la déforestation dans les pays tropicaux. ces deux points sont détaillés ci-dessous. enfin, il convient également de noter que le projet de Directive sur la pro- motion des sources d’énergie renouvelables (enR) ne doit pas se faire au détriment de la gestion durable des espaces naturels, au sein de l’union ainsi que dans les milieux tropicaux s’agissant de la biomasse d’impor- tation. c’est pourquoi des critères de dura- bilité doivent être introduits, et seules les biomasses répondant à ces critères pourront aider à remplir les objectifs quantitatifs de développement des enR.
Les forêts européennes et le partage de l’effort
La communauté européenne s’est engagée à œuvrer de manière constructive à l’émergence d’un accord international satisfaisant en 2009 pour établir les règles de la gouvernance inter- nationale du climat à échéance de la première période d’engagement du protocole de Kyoto.
Dans le précédent cycle de négociation à pro- pos des modalités d’application du Protocole de Kyoto qui s’est conclu à marrakech en 2001, une des questions les plus épineuses étaient la spécification de règles de prise en compte de la séquestration de carbone liée à la gestion fores- tière dans les pays industrialisés. cette tâche était fortement compliquée par le fait que les niveaux d’engagement chiffrés de limitation ou réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés étaient déjà établis à Kyoto, et ne pouvaient donc plus servir de variable d’ajustement pour les compromis nécessaires.
À l’éclairage de ces difficultés passées, les Par- ties à la convention cadre des nations unies sur le changement climatique (ccnucc), et en parti- culier les États membres de l’union européenne, avaient pris la résolution de clarifier les règles comptables au préalable à la fixation d’engage- ments sur des niveaux de réductions post-2012.
C’est avec cet objectif en tête que la commis- sion européenne a proposé un partage de l’effort intra-européen, conformément à l’accord de bulle selon l’article 4 du protocole de Kyoto, qui ignore sciemment le traitement des puits. cela devait permettre de ne pas préjuger des approches comptables à retenir après 2012 pour les puits nationaux tandis que ces approches font l’objet de discussions soutenues au sein de la ccnucc. l’accord de partage de l’effort proposé s’étend donc à tous les secteurs, sauf les secteurs sous le Plan national d’affectation des quotas (Pnaq) qui sont traités par la Directive Sceqe, et sauf les puits dont les règles restent à définir.
Néanmoins, on constate que certains pays de l’union européenne pourraient subir des pertes considérables selon certaines règles comptables envisagées pour l’après 2012. Par exemple, la proposition « net-net » reviendrait à pénaliser un pays dont le rythme d’absorption de carbone par les forêts nationales diminuerait, et cela même si les forêts continuent d’absorber massivement du carbone de l’atmosphère année après année. un tel pays aura pourtant enregistré un crédit selon les règles comptables de la première période d’engagement du protocole de Kyoto. alors que les conséquences sont quasiment négligeables pour les petits pays très industrialisés, les grands pays européens peu peuplés comme les pays bal- tes pourraient subir une différence de 20, 30 ou même 50 % de leurs émissions nationales.
Ces volumes en jeu sont évidemment consi- dérables par rapport à la taille des réductions d’émissions demandées. Pour les pays dans cette situation, il est extrêmement délicat d’ac- cepter le partage de l’effort proposé par la commission avant d’obtenir des clarifications sur le traitement des puits. Réciproquement, le spectre d’un partage intra-européen de l’effort déjà figé peut les pousser à militer à la ccnucc pour des approches comptables qui leur appor- tent plus de crédits ou moins de débits, indépendamment des mérites techniques de ces approches.
Ces deux issues sont tout à fait indésirables. Pour éviter d’en arriver là, la commission euro- péenne doit envoyer un signal fort aux États membres pour indiquer que le partage de l’ef- fort proposé s’entend effectivement en faisant abstraction des puits, et que les chiffres seront revus après la conférence de la ccnucc de copenhague, afin de refléter les conséquences de l’approche comptable adoptée pour les puits sans toutefois affecter l’équilibre de la réparti- tion des efforts.
La commission européenne n’avait toujours pas fait cette démarche jusque récemment et la Présidence française de l’ue a entrepris des démarches pour l’y inciter, de manière à faciliter l’accord sur le partage interne de l’effort, ainsi qu’une considération saine des approches comp- tables dans le cadre de la ccnucc, sur la base des mérites techniques de ces approches, et non sur la base des effets quantitatifs attendus sur tel ou tel pays.
Le financement de la lutte contre la déforestation (et autres activités forestières)
Depuis 2005 les négociations dans le cadre de la ccnucc accordent une large place à la pos- sible inclusion des émissions provenant de la déforestation dans les pays hors annexe B dans un accord qui serait conclu à la conférence des parties de copenhague. un mécanisme « ReDD » (Réduction des émissions liées à la déforestation et de la dégradation des forêts) est à définir pour gérer cette inclusion.
La problématique ReDD revêt plusieurs niveaux de complexité. en premier lieu, l’esti- mation des réductions d’émissions nécessite de mettre en œuvre des mesures des surfaces déboisées par télédétection et de stocks de car- bone correspondant par relevés échantillonnés sur le terrain. il est ensuite nécessaire de fixer des niveaux de référence de la déforestation, qui permettront d’évaluer les résultats des politiques et mesures de lutte contre la déforestation.
Le champ des activités éligibles au mécanisme ReDD n’est pas encore fixé, mais les pourparlers d’accra sur le changement climatique, en août dernier, semblent avoir pris acte d’une volonté d’étendre ces activités au-delà de la réduction de la déforestation, pour inclure également les efforts passés de conservation des massifs forestiers, les émissions évitées par une moindre dégradation des forêts, la gestion forestière durable et les reboi- sements. cette nouvelle piste est dite « ReDD+ ».
Les modalités de collecte de fonds dans les pays de l’annexe B pour contribuer à financer les actions de lutte contre la déforestation tropicale, ainsi que les mécanismes de distribution dans les pays cou- vrent un large éventail de possibilités, dont les avantages et les inconvénients sont étudiés dans les délibérations dans le cadre de la ccnucc. ces mécanismes pourraient prendre la forme de finan- cements sur programmes et/ou d’incitations aux résultats observables, c’est-à-dire de rachat de cré- dits d’émission. Dans ce dernier cas, le rachat des crédits d’émission pourrait être réalisé directement par les États et/ou entreprises pour aider à remplir leurs engagements de réduction d’émission. Mais ces crédits ReDD pourraient tout aussi bien être rachetés dans le but de les éliminer par des fonds abondés par contributions publiques ou privées ou par fléchage de revenu de taxes, redevances ou pro- duit d’enchères.
Liens avec le paquet « Climat et Énergie »
Les questions de financement précédemment évoquées sont intimement liées aux décisions à venir sur le paquet « climat et Énergie » à deux titre : d’une part une partie du revenu des enchè- res de quotas d’émission pourrait être fléchée pour financer la ReDD, d’autre part les États membres (secteur hors Pnaq) et les entreprises sous Pnaq pourraient avoir le droit d’utiliser des crédits ReDD dans une certaine limite pour aider à remplir leurs obligations de réduction d’émission.
Traditionnellement, la commission euro- péenne a adopté un comportement extrêmement prudent à l’égard de l’inclusion des crédits fores- tiers. elle avait ainsi proposé et obtenu que les crédits issus de projets de boisements, pourtant reconnus dans le mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto, soient exclus du Sceqe pour la première et à nouveau pour la deuxième période jusque 2012. De même en janvier 2008, la commission ne proposait pas la possibilité d’utiliser des crédits ReDD pour aider à remplir les engagements, que ce soit pour les États ou les entreprises.
Deux amendements de compromis proposés par le rapporteur avril Doyle ont été adoptés par la commission enVi du Parlement européen le 7 octobre dernier : m l’amendement 11 propose qu’au moins 50 %Mdes revenus générés par la mise aux enchè- res des quotas d’émissions soient transférés volontairement par les États membres à un fonds communautaire ou international, et que 25 % de cet apport financier soit consacré à des initiatives de lutte contre la déforestation et de reboisement dans les pays en développe- ment adhérents au protocole de Kyoto ou son successeur. ce fléchage pourrait mobiliser aux alentours de 2,5 milliards d’euros par an en faveur de la lutte contre la déforestation sous les tropiques.
L’amendement 25 propose que, en cas d’accord international, les entreprises européennes sous Pnaq puissent utiliser des crédits prove- nant d’activités forestières dans les pays hors annexe B dans la limite de 5 % des réductions d’émissions requises. les projets sous-jacents devront satisfaire à des critères de qualité édic- tés par la commission européenne.
Ces deux amendements ouvrent donc la voie à deux modes de financement complémentai- res et ambitieux de la lutte contre la défores- tation et autres activités forestières dans les pays hors annexe B. il reste à voir comment le conseil de l’europe va se comporter par rap- port à cette position. On peut s’attendre à ce que les ministres des finances plaident pour la limitation des dépenses dans le contexte éco- nomique actuel. mais il faudra tout de même que l’europe montre son engagement auprès des pays tropicaux pour contribuer à la lutte contre la déforestation. On peut noter au pas- sage que cette structure de financement duale proposée par avril Doyle (prélèvements sur l’allocation initiale de quotas et connexion modérée au marché du carbone) prévaut éga- lement dans les principaux des projets de loi présentés au congrès américain sur la lutte contre l’effet de serre.