mobilité durable

Le véhicule autonome est porteur de nombreuses promesses. Cependant, les impacts de cette technologie dépendent des modèles de mobilité qui seront déployés. En quoi ces différents modèles peuvent-ils résoudre des enjeux classiques de mobilité durable ?

L’autonomie peut-elle améliorer l’accès à la mobilité ?

La mobilité est aujourd’hui essentielle pour la participation à la vie économique et sociale. L’accès à la mobilité autonome est donc une question politique majeure : peut-elle favoriser la mobilité de tous ou au contraire accentuer les disparités dans l’accès à la mobilité ? La réponse à cette question dépend principalement des modèles de mobilité autonome dans lesquels on se projette. Dans le cadre d’un modèle basé sur des voitures autonomes privées individuelles, qui serait une sorte de continuum du modèle dominant existant, les véhicules autonomes vont probablement rester pendant longtemps des modèles premium du fait de leur coût : la littérature existante estime le surcoût associé à l’autonomie entre 8000 et 12 000€ à l’horizon 2030. Ce surcoût devrait cependant baisser à quelques milliers d’euros à l’horizon 2050. Si l’on se place dans un modèle de mobilité autonome organisé autour de robots-taxis, le coût pour le client est très dépendant du taux d’occupation du véhicule. Ce n’est ainsi qu’à partir d’un taux d’occupation de 1,5 passager/km que le coût d’un service de robot-taxi commence à concurrencer le coût d’utilisation d’une voiture privée. Les offres économiquement attractives concerneront donc en premier lieu les centres urbains, où il est possible d’atteindre une certaine densité des déplacements. La mobilité autonome ne sera donc pas forcément accessible à tous, à la fois en termes financiers et en termes de territoires.

 

Quels bénéfices pour les transports collectifs ? 

Cette question découle de la première, dans la mesure où le développement des transports collectifs contribue à améliorer l’accès à la mobilité. Sur ce point, il apparaît que l’autonomie peut, dans une certaine mesure, avoir un impact positif. Les estimations de coût produites par l’Iddri dans le cadre d’une étude prospective sur la mobilité autonome montrent ainsi qu’à coût par passager constant, un bus autonome de 50 places à motorisation thermique est viable à partir d’un taux de remplissage d’environ 10 % contre environ 30 % pour un bus classique. Il devient ainsi possible de desservir des lignes moins fréquentées, et ce à coût constant.

En d’autres termes, l’autonomie permettrait d’étendre le périmètre de pertinence des transports collectifs. Les économies réalisées avec le passage à l’autonomie peuvent également permettre de basculer vers des motorisations alternatives.

Les véhicules autonomes seront-ils partagés ?

Il est souvent avancé que la connectivité et l’autonomie pourraient encourager le partage des voitures, qui, rappelons-le, sont en stationnement 95 % de leur durée de vie et ne transportent, lorsqu’elles roulent, que 1,22 personne en moyenne. Cette hypothèse nous paraît néanmoins erronée, dans la mesure où l’autonomie, bien qu’elle puisse réduire certains freins (notamment les coûts organisationnels), n’apporte pas de réponse à d’autres obstacles qui limitent aujourd’hui le partage de la voiture, notamment le covoiturage : faible rémunération marginale, coûts psychologiques du partage du véhicule avec d’autres personnes, manque de prédictibilité pour les passagers, etc.

De plus, comme il l’a été rappelé précédemment, les véhicules autonomes seront probablement destinés pendant un certain temps à une clientèle aisée, qui n’aura pas d’incitation à mettre ces véhicules en partage, que ce soit en matière de de partage de trajets (covoiturage) ou de partage du véhicule dans le temps (autopartage). En ce qui concerne les robots-taxis, le partage de trajets est plus probable (notamment car cela a un vrai impact sur le coût pour l’usager), mais cela demande un vrai changement d’échelle par rapport à ce qu’on observe actuellement dans le cadre des taxis et VTC partagés. Ainsi, en 2016, le taux d’occupation des véhicules dans le cadre du service Uber Pool était d’environ 0,85 passager/km.  

 

Quelle recomposition de l’espace urbain avec l’autonomie ?

La question de l’impact de l’autonomie sur l’espace urbain est extrêmement difficile à anticiper, tant cette question résulte d’effets de rétroaction entre les politiques urbaines et les politiques de mobilité. Deux points doivent être cependant soulignés à ce sujet.

  1. En ce qui concerne la structure urbaine, le développement d’une mobilité autonome basée sur la voiture individuelle risque d’accentuer le phénomène de périurbanisation, et donc d’augmenter les déplacements réalisés en voiture. En effet, il est probable que l’autonomie diminue le coût d’opportunité des déplacements – puisqu’on pourra faire autre chose que conduire pendant le trajet – et donc encourage l’allongement des distances parcourues. À l’inverse, une mobilité autonome basée sur les transports en commun ou les robots-taxis pourrait avoir un effet de densification si les services déployés sont coordonnés avec les politiques d’aménagement urbain, ce qui semble plus probable dans un scénario transports en commun.
  2. Le deuxième point à souligner sur ce sujet concerne l’enjeu de l’autonomie sur l’allocation de la voirie. Une perpétuation d’une mobilité privée individuelle implique le maintien d’un certain statu quo sur l’espace dévolu à la voiture, voire une accentuation de son emprise sur son territoire si le développement de cette technologique nécessite de sanctuariser certaines voies pour diminuer la coexistence avec d’autres modes de transport non autonomes. À l’inverse, le développement d’une mobilité autonome basée sur les transports collectifs ou les robots-taxis pourrait conduire à une réduction du nombre de véhicules et donc à une libération d’espace. Le développement des robots-taxis pose toutefois un risque s’il ne s’accompagne pas d’un aménagement de l’infrastructure adéquat, avec notamment des problèmes de stationnement sauvage ou de dépose gênante.

L’autonomie facilite-t-elle la décarbonation du secteur des transports ?

L’imaginaire autour de la mobilité autonome laisse penser que les véhicules autonomes seront nécessairement électriques, ou au moins avec des motorisations alternatives, comme le montre par exemple un sondage d’experts européens publié récemment. Si des synergies existent entre autonomie et motorisation électrique (confort, modèle économique serviciel d’exploitation de flotte plus favorable, capacité du véhicule à trouver un point de recharge par lui-même), il existe cependant des obstacles. Ainsi, les besoins énergétiques élevés de l’autonomie pourraient favoriser des motorisations thermiques-électriques, au moins pour les premiers modèles. De plus, il faut rappeler le décalage temporel entre l’urgence de massifier le parc de véhicules électriques et affiliés afin de répondre aux objectifs de décarbonation du secteur des transports, et la vitesse de déploiement des véhicules autonomes qui ne seront pas avant longtemps des produits grande public. La mobilité autonome ne peut donc être considérée comme une option sérieuse pour atteindre les objectifs de décarbonation qui sont si urgemment requis.  

Mobilité autonome ne rime donc pas nécessairement avec durabilité. Afin de construire une mobilité autonome durable, il est nécessaire que les autorités publiques locales et nationales utilisent leurs compétences en matière d’aménagement et de régulation afin de favoriser les usages du véhicule autonomes plus cohérents avec une stratégie de mobilité durable. Nous en sommes cependant encore loin en France, où la stratégie du gouvernement pour le déploiement du véhicule autonome se concentre sur les enjeux industriels et de sécurité, sans apporter de vision sur la mobilité autonome souhaitable. 

 

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