En novembre dernier, les négociations sur la biodiversité organisées par la Colombie se sont terminées dans la confusion. La COP 16 reprend le 25 février en Italie, mais les pays doivent encore relever le défi crucial de mobiliser des ressources financières suffisantes pour mettre en œuvre leurs engagements pour la biodiversité. Que s'est-il passé à Cali ? Qu’aurait-il dû s’y passer ? Les discussions à Rome peuvent-elles aboutir à un accord ?
[Ce billet a été publié pour la première fois en anglais sur le site de l’Overseas Development Institute.]
1. Que s'est-il passé à Cali ?
La 16e Conférence des Parties (COP 16) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), tenue à Cali en Colombie, visait à débloquer des financements pour atteindre les objectifs fixés dans le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (GBF) adopté à Montréal en 2022. Au cœur des discussions figurait la nécessité de mobiliser davantage et de meilleures ressources pour soutenir la biodiversité. Cependant, les avancées ont été éclipsées par des défis politiques et structurels. Les discussions lors de la séance plénière finale se sont éternisées, conduisant à une perte de quorum qui a empêché les Parties d’adopter toutes les décisions de la COP.
Le débat sur la mobilisation des ressources s'est déroulé parallèlement à d'autres enjeux clés : la redistribution des bénéfices liés à l'utilisation des informations génétiques numériques (Digital Sequence Information - DSI) (Third World Network, 2024) et la mise en place de mécanismes de transparence pour la mise en œuvre du GBF (Iddri, 2025). Les discussions ont été marquées par de vives tensions entre les pays développés et les pays en développement, ces derniers estimant que les 396 millions de dollars actuellement promis au Fonds GBF sont insuffisants. Ils ont également souligné les obstacles persistants pour accéder au Fonds pour l'environnement mondial (FEM), freinant la mise à disposition des financements à une échelle et à une vitesse satisfaisantes.
Les pays développés, pour leur part, s’inquiètent de la fragmentation accrue du paysage du financement de la biodiversité accentuée par la création de nouveaux « fonds », notamment « l’instrument mondial de financement » proposé par la Présidence. Si cet instrument était adopté, un processus devrait être mis en place pour définir son mandat : les premières ébauches suggèrent qu’il pourrait recevoir et distribuer des fonds publics, mobiliser des financements privés en s’appuyant sur des financements publics, et structurer les besoins financiers des pays en développement. Un défi de taille pour tout nouvel instrument, surtout face à la complexité du financement de la conservation et de la restauration de la nature.
Ces tensions s'inscrivent dans un contexte marqué par des pressions extérieures croissantes : de nombreux pays en développement sont confrontés à des niveaux de dette élevés et insoutenables (Expert Review on Debt, Nature & Climate, 2024), tandis que l’aide publique au développement stagne, voire diminue dans certains cas (Le Monde, 2024). Ce contexte de vulnérabilité et d’incertitude a encore davantage sapé la confiance entre les Parties à la CDB, reflétant des défis similaires rencontrés dans le cadre de la Convention climat sur le nouvel objectif de financement climatique (ODI) et, plus largement, sur l’avenir du financement du développement (ETTG, 2025).
2. Qu’aurait-il dû se passer à Cali ?
À la COP 16, les pays devaient adopter une nouvelle Stratégie de mobilisation des ressources, englobant toutes les sources de financement, pour soutenir la mise en œuvre du GBF. Jusqu’à présent, les ressources internationales ont été mobilisées à travers le financement bilatéral direct, les banques multilatérales de développement, les fonds multilatéraux dédiés à la Convention (le Fonds pour l’environnement mondial, le Fonds pour la biodiversité de Kunming et le tout nouveau Fonds GBF), ainsi que le secteur privé et les philanthropies.
Un paysage de financement aussi fragmenté crée de graves problèmes d'accès pour les pays en développement. Ceux-ci doivent composer avec des coûts de transaction élevés, car ils doivent naviguer entre plusieurs systèmes d’accréditation et processus de rapportage. Déjà limités en termes de capacités, les pays en développement – en particulier les plus vulnérables sur le plan environnemental, comme les pays les moins avancés et les Petits États insulaires – se retrouvent dispersés entre de nombreux bailleurs de fonds de la biodiversité, chacun avec ses propres politiques, priorités et exigences. Le système actuel est inadapté aux besoins de ces pays, que ce soit en termes de volume de financement ou d’accessibilité.
C’est pourquoi la Présidence colombienne de la COP a proposé un ensemble de mesures, comprenant la création d’un « instrument mondial de financement », opérationnel d’ici 2030 (CDB, 2024 ; voir paragraphe 19). Présentée le dernier jour de la COP 16, cette proposition cherchait à concilier défis techniques et politiques en une feuille de route unifiée. Elle a été approfondie dans une note de la Présidence publiée quelques jours avant la reprise des sessions (CDB, 2025). D’un point de vue technique, il s’agit d’une approche progressive vers une « solution financière globale », combinant cycles d’examen, évaluations approfondies et études sur des enjeux clés comme le lien entre la soutenabilité de la dette et le financement de la biodiversité, ainsi qu’un dialogue transparent pour informer la décision sur l’éventuel nouvel instrument mondial.
Cette approche cherchait à équilibrer responsabilité et flexibilité, en proposant des mécanismes basés sur la transparence et les données, sans imposer d’engagements prématurés comme la création immédiate d’un nouveau fonds.
3. Où en sommes-nous ?
Les sessions de Rome auront la lourde tâche de reconstruire la confiance et une compréhension commune autour du financement de la biodiversité. Les pays développés doivent composer avec des contextes politiques internes difficiles et des contraintes budgétaires serrées lorsqu’il s’agit d’allouer des fonds aux pays en développement, tandis que ces derniers demeurent frustrés par les obstacles d’accès aux financements et font face à un paysage fiscal et financier de plus en plus complexe dans leur quête de mise en œuvre de leurs objectifs de biodiversité.
Dans sa version actuelle, le texte de la Présidence contient plusieurs points sensibles susceptibles de freiner son adoption : un paragraphe appelle à une extension des pays devant contribuer au financement de la biodiversité, tandis qu’un autre insiste sur des actions efficaces pour supprimer les subventions néfastes à la biodiversité.
Si certains pays rejettent l’idée d’un élargissement de la base des donateurs, d’autres redoutent que la proposition colombienne d’un nouvel instrument mondial ne conduise inévitablement à de nouveaux retards et inefficacités dans un paysage déjà fragmenté. Et ce dans un contexte d’incertitude géopolitique croissante et de pression sur les financements de la solidarité au niveau international.
Trois questions sur le financement international de la biodiversité doivent donc être posées et traitées :
- les responsabilités sont-elles clairement définies ? Une définition claire des responsabilités et de la redevabilité permet de suivre les progrès et la mise en œuvre, en particulier lorsque la CDB est liée à d’autres processus influents comme le G20 ;
- y a-t-il de la transparence dans le rapportage ? Dans un paysage aussi fragmenté, existe-t-il un cadre de transparence régulier, opportun et cohérent pour soutenir le financement de la biodiversité ? Des indicateurs pertinents et des données actualisées permettent aux gouvernements et à la société civile d’évaluer les progrès, d’exercer une pression sur les retardataires et d’aider les leaders à allouer leurs financements de manière plus efficace ;
- existe-il un processus politique et technique clair ? Si un dialogue de haut niveau est adopté et que différentes évaluations sont convenues, quelles en seront les modalités et les résultats attendus ?
Beaucoup de choses reposent sur cette reprise de la COP. Il ne s'agit pas seulement de relever des défis financiers immédiats. L’enjeu dépasse la seule question financière : il s’agit de bâtir une architecture de financement capable de répondre à la crise de la biodiversité. Les enjeux sont immenses, mais avec un leadership réfléchi, des contributions techniques solides et un dialogue inclusif, il est encore possible de combler les lacunes actuelles.