La crise récente déclenchée par la hausse des prix du carburant met notamment en évidence la dépendance d’un grand nombre de Français à leur usage individuel de la voiture pour un ensemble de déplacements contraints. Au plein cœur de la crise, les ministres de la Transition écologique et des Transports ont présenté au Parlement le 26 novembre dernier le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). Fruit des Assises nationales de la mobilité lancées il y a plus d’un an (auxquelles l’Iddri avait participé), cette loi est la conséquence de l’engagement pris par le Président de la République lors de ces Assises d’apporter des solutions aux problèmes de mobilité quotidienne des Français. La loi n’a pas répondu à toutes les attentes en matière de mobilité durable, comme l’ont souligné les ONG environnementales, et elle ne peut pas constituer une réponse d’ensemble aux revendications exprimées au fil de la crise en cours en France. Néanmoins , elle apporte de véritables avancées. Ainsi, le covoiturage du quotidien y est reconnu comme une solution de mobilité à part entière, qui doit être soutenue par les politiques publiques.
En mai 2016, l’Iddri publiait une étude sur les start-up de covoiturage et d’autopartage entre particuliers. Cette étude interrogeait les enjeux de développement de ces nouveaux acteurs de la « mobilité collaborative » courte distance qui s’étaient multipliés depuis 2012, encouragés par la diffusion des smartphones et les progrès du numérique. Si nous faisions le constat du potentiel de ces nouvelles solutions de mobilité pour réduire l’impact environnemental et le coût des déplacements de courte distance, nous faisions également état de leurs difficultés, notamment pour le covoiturage. En dépit des innovations apportées par ces acteurs, le développement du covoiturage de courte distance se heurtait toujours à plusieurs obstacles : attractivité financière relativement limitée, réticence culturelle à partager sa voiture avec d’autres personnes, difficulté à créer une masse critique d’utilisateurs permettant de fournir un service fiable, etc.
L’étude appelait ainsi les pouvoirs publics – locaux comme nationaux – à soutenir ces nouvelles solutions de mobilité et à les intégrer dans l’offre publique de transport. À l’époque, ce positionnement ne faisait pas consensus, les collectivités locales ne parvenant pas à évaluer l’utilité et le potentiel de ces start-up de covoiturage, dont les services étaient régulièrement associés à ceux des plateformes de VTC (rappelons qu’en 2016, nous étions encore en plein débat sur la régulation des entreprises telle que Uber). La question de la concurrence de ces services de covoiturage avec les transports collectifs était également très présente dans les entretiens menés au cours de cette étude et dans les débats de la conférence organisée par l’Iddri en juin 2016. La plupart des start-up étaient pour leur part positionnées sur un modèle économique consumer to consumer (C2C), au sein duquel les collectivités locales n’étaient généralement pas considérées comme de réelles parties prenantes du service, dans une logique de service public de transport. Les start-up voyaient donc les acteurs publics territoriaux uniquement comme des partenaires stratégiques de court terme, nécessaires pour accroître leur visibilité ou accéder à des territoires (et des financements) pour les expérimentations.
Deux ans plus tard, force est de constater que le paysage des discussions a bien changé. Les Assises de la mobilité ont été un moment clé pour clarifier les positionnements et les interrogations des différents acteurs, contribuant ainsi à construire une compréhension commune des enjeux, comme le montre la synthèse du groupe de travail sur le covoiturage courte distance. La reconnaissance du covoiturage comme un des éléments clés d’une politique publique de mobilité transparaît ainsi clairement dans la LOM, dont l’article 15 « ambitionne de créer les conditions permettant de développer massivement le covoiturage » (Projet de loi d’orientation des mobilités n°157). Plusieurs mesures ont été prises en ce sens : possibilité pour l’employeur d’indemniser les salariés qui ont recours au covoiturage, sur le même mode que l’indemnité kilométrique vélo, avec la création du « forfait mobilités durables » (jusqu’à 400 € par an, exemptés de charges et d’impôts) ; possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de subventionner le covoiturage en versant une allocation aux conducteurs comme aux passagers ; possibilité pour les collectivités de mettre en place des voies réservées. L’objectif est donc bien de donner aux collectivités des outils leur permettant d’exercer leurs compétences mobilités en matière de covoiturage. Au-delà de la LOM, l’État, à travers le réseau beta.gouv.fr, travaille à la création d’un registre de preuve de covoiturage afin de limiter le risque de fraude dans la gestion des incitations monétaires et non-monétaires au covoiturage. Du point de vue des start-up, le marché montre également des signes de maturité : leur nombre s’est réduit, ne laissant que celles jugées les plus prometteuses. Les start-up encore dans la course ont également tissé des liens beaucoup plus étroits avec les acteurs territoriaux, entreprises et collectivités locales, qui semblent en effet être des partenaires indispensables pour construire une offre de covoiturage pérenne, à la fois d’un point de vue financier, mais aussi parce que le covoiturage ne fonctionne que s’il s’intègre dans une offre globale de mobilité. Par exemple, il est nécessaire d’adapter l’infrastructure routière de manière à aménager les lieux de prise et de dépose entre covoitureurs à des endroits stratégiques.
Le covoiturage courte distance a donc connu une dynamique de reconnaissance et de développement au cours des deux dernières années, que l’adoption de la LOM l’année prochaine devrait encore renforcer. Néanmoins, tout reste encore à faire : les start-up de covoiturage courte distance n’ont pas encore trouvé de modèle économique pérenne ; développer la pratique de covoiturage requiert une compréhension fine des dynamiques de mobilité locales dans une logique de gestion de réseau, ce qui empêche toute généralisation mais demande de travailler sur chaque territoire spécifique ; et la plupart des dispositifs d’incitation financière mis en place par la LOM (forfait mobilité durable, subventions des covoitureurs, etc.) ne sont pas obligatoires mais volontaires. Les prochaines années seront déterminantes pour faire du covoiturage un mode de transport à part entière, et durable, avec les bénéfices associés en termes de pollution, de congestion et d’accès à la mobilité.