Alors que la première moitié de l’année touche à sa fin, les élections prévues tout au long de cette année électorale exceptionnelle se poursuivent. Quels sont les impacts de cette effervescence politique sur la coopération internationale ? Comment les dynamiques nationales influencent-elles les discussions internationales ? Ce billet de blog fait le point sur les derniers développements (géo)politiques et identifie les acteurs, sujets et forums qui pourraient faire avancer la coopération entre les pays et les régions.
Une année électorale importante à un moment où les besoins en matière de développement durable sont immenses
2024 se présente comme une année électorale majeure, avec des scrutins dans quelque 64 pays, représentant plus de la moitié de la population mondiale, parmi lesquels 8 des 10 pays les plus peuplés du monde (Bangladesh, Brésil, Inde, Indonésie, Mexique, Pakistan, Russie, États-Unis). Dans certains cas, les élections peuvent affecter des dynamiques régionales entières – c’est le cas dans l’UE où des élections parlementaires ont eu lieu en juin, ainsi qu’en Afrique où 19 pays organisent des élections tout au long de l’année (ACSS, 2024).
Si les questions environnementales n’ont pas occupé le devant de la scène lors des élections jusqu’à présent, leurs résultats auront un impact sur l’engagement continu des pays en matière de climat et de biodiversité. En effet, 2024 est une année charnière pour la coopération internationale en matière de développement durable (Iddri, 2024). Une coopération étroite est nécessaire pour que l'ambition se traduise par le renforcement des contributions déterminées au niveau national (CDN) et la mise en œuvre des stratégies et plans d’action nationaux en faveur de la biodiversité (SPANB). Alors que le temps presse pour éviter des conséquences catastrophiques, des actions décisives et concertées doivent être prises pour sortir des combustibles fossiles de manière ordonnée et préserver l’environnement de manière cohérente. La coopération et la solidarité internationales sont également indispensables pour trouver les moyens de financer les actions nécessaires, que ce soit dans le cadre des réformes de l’architecture financière internationale, du nouvel objectif collectif quantifié sur le financement de la lutte contre le changement climatique (NCQG), du doublement des fonds consacrés à l’adaptation, de l’alignement des flux financiers sur le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal ou de la préparation de la quatrième conférence internationale sur le financement du développement.
Tout cela se produit à un moment où la géopolitique est considérée comme plutôt défavorable à la coopération. Indépendamment des guerres qui divisent profondément le monde, les discours dominants dans les pays semblent favoriser une concurrence plus brutale – comme l’illustre la rhétorique autour des droits de douane ou l’adoption de nouvelles politiques industrielles qui privilégient le « fabriqué à la maison », la sécurité, la compétitivité et l’autonomie stratégique (Iddri, 2024). Comme pour de nombreux objets de coopération internationale, les négociations sur le développement durable semblent être affectées par cette rhétorique plus agressive. Alors que nous entrons dans un monde plus transactionnel, nous voyons des conflits se répandre dans différents forums et des affrontements entre pays conduisant à des impasses ou à un blocage des négociations, comme cela a été le cas dans les discussions sur l’environnement lors de la conférence ministérielle de l’OMC (MC13) (IEEP, 2024) ou comme l’illustre le parcours difficile des négociations sur le futur traité plastiques (Iddri, 2024).
De nouvelles alliances émergent de l’évolution de la géopolitique (Iddri, 2024) et de la convergence de nouveaux intérêts, qui pourraient demain donner l’exemple dans des domaines essentiels de la coopération internationale, comme le groupe des « pays partageant les mêmes intérêts » (like-minded countries), composé de producteurs de pétrole qui s’opposent à prendre en compte le cycle de vie complet pour la gestion des matières plastiques, ou le groupe de l’Afrique et des petites îles, qui réclame une plus grande considération de l’adaptation au changement climatique. Les appels s’intensifient également dans le sillage de la feuille de route pour la mission 1,5°C de la Troïka des présidences de COP (Émirats arabes unis, Azerbaïdjan, Brésil) en vue d’améliorer et d’innover en matière de coopération internationale (Iddri et al., 2024).
Pas de changement politique majeur à ce stade, mais un leadership affaibli
En ce milieu d'année, plusieurs élections ont déjà eu lieu, notamment au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Mexique, en Afrique du Sud et en Corée du Sud. Presque partout, on constate une continuité du pouvoir, mais avec une perte de majorité parlementaire. En Afrique du Sud, l’ANC a perdu sa majorité parlementaire acquise de longue date. En Inde, le Premier ministre Modi a remporté un troisième mandat, mais son parti a perdu son emprise parlementaire. L’UE ne fait pas exception. Le PPE de centre-droit s’est maintenu et peut organiser des coalitions avec les partis à sa gauche, mais l’extrême droite fait pression et pourrait constituer une force perturbatrice (au Parlement comme au Conseil) [Iddri, 2024].
Les résultats d'élections clés sont encore à venir : les élections générales au Royaume-Uni et les élections législatives en France, toutes deux convoquées par surprise en juillet et susceptibles de modifier les majorités et les priorités politiques. Et, de toute évidence, tous les regards sont tournés vers les élections de novembre aux États-Unis, dont les enjeux sont considérables avec la possibilité d’un retour de Donald Trump. La couleur politique du prochain président déterminera probablement la poursuite de l’action américaine en faveur du climat et son ambition pour la prochaine CDN, puisque Trump a promis de faire marche arrière sur l’Inflation Reduction Act et est un partisan des combustibles fossiles (Carbon Brief, 2024). Cela aura également une incidence sur la position du pays dans des domaines de négociation fondamentaux, notamment la fiscalité internationale. Néanmoins, il ne faut pas s’attendre à un changement majeur en matière de commerce, notamment dans la course aux technologies vertes avec la Chine et la rhétorique du « Made in America ».
En outre, en cette année électorale exceptionnelle, un certain nombre de grands pays ne sont pas ouverts aux changements politiques, soit parce que les élections n’ont pas lieu (par exemple au Brésil, où les prochaines élections générales sont prévues pour octobre 2026, même si les prochaines élections locales pourraient influencer la dynamique nationale, ou en Allemagne, où les élections sont prévues pour l’année prochaine), soit parce que les dirigeants sont reconduits au pouvoir sans surprise (Russie ou Chine en 2023).
Continuité des discours et accent mis sur la transition juste
Il est difficile d’anticiper toutes les répercussions des élections sur la politique et la coopération internationales. Et ce serait également une erreur de surestimer l’impact des changements politiques en cours dans les pays sur les orientations qui, dans de nombreux cas, ont été définies pour le moyen terme. En règle générale, avec la déclinaison de l’Accord de Paris sur le climat dans les législations, les outils politiques (c’est-à-dire les marchés du carbone) ou les investissements dans les infrastructures à long terme, la mise en œuvre et les administrations sont à l’œuvre dans de nombreux pays et organisations internationales, et le système économique a commencé à bouger. C’est le cas notamment du Pacte vert en Europe (Iddri, 2024), mais aussi dans d’autres parties du monde (Economist Impact, 2024).
La relative continuité dans le leadership politique à travers le monde devrait également s’accompagner d’une certaine continuité dans les récits, avec une confirmation des priorités fortement inspirées par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et de la guerre de la Russie en Ukraine, ainsi que par la course aux technologies vertes, en matière de sécurité, d’autonomie stratégique et de compétitivité. La continuité politique dans les principaux pays émergents devrait permettre de confirmer l'accent mis sur le besoin absolu de co-bénéfices entre l'environnement et le développement.
Mais il faut également entendre l'opposition et la contestation croissantes, illustrées par la perte de majorité parlementaire et la poussée des partis d’extrême droite dans de nombreux pays. Cette opposition incarne les revendications sociales et les préoccupations qui accompagnent la reconfiguration des chaînes de valeur, des emplois et des compétences dans les pays industrialisés, perçue comme ayant une corrélation négative avec la réduction de la pauvreté dans les pays où des efforts considérables restent à faire pour connecter des populations entières aux services de base. Alors que les transitions numérique et verte affectent tous les pays, leurs profonds changements structurels et leurs impacts distributifs – notamment dans la reconfiguration de la création de valeur à l'échelle mondiale – doivent être gérés à la fois à l’intérieur des pays et entre eux.
La question de la transition juste a été soulevée dans les agendas nationaux et internationaux, comme en témoignent les voix déplorant l’absence d’un projet social lié au Pacte vert en Europe (CESE, 2024) ou la création d’un groupe de travail sur la transition juste dans le cadre de la Convention Climat. Loin de s’estomper, cet intérêt devrait se renforcer au niveau international, l’Afrique du Sud prenant la suite d’une présidence brésilienne du G20 fortement axée sur la lutte contre les inégalités en tant qu’objectif transversal important, ce qui s’est traduit par une forte pression en faveur de la fiscalité internationale, notamment sous la forme d’un impôt minimum coordonné sur les personnes ultra riches (G20, 2024; Zucman, 2024).
Le sujet devient une préoccupation généralisée dans les pays du Nord comme du Sud, mais il n'est toutefois pas certain qu'il puisse représenter un nouveau terrain d'entente pour la coopération. Il s’agit d’un sujet qui divise les pays, qui ont tendance à privilégier des solutions nationalistes pour protéger leurs propres populations. In fine, il s’agit d’un domaine où la coopération intergouvernementale pure n’est probablement pas suffisante, car la société civile, les communautés touchées, les entreprises ou les régions et les villes détiennent d’importantes pièces du puzzle – dans cette perspective, la Coalition mondiale pour la justice sociale (Global Coalition for Social Justice), récemment lancée, est prometteuse. Dans le domaine de la transition juste, comme dans d’autres, les acteurs non gouvernementaux, notamment les scientifiques, les think tanks et les centres de recherche, qui jouent déjà un rôle croissant dans la coopération internationale par le biais de leurs propres réseaux ou en contribuant à des initiatives multipartites, peuvent jouer un rôle déterminant en apportant à la fois une stabilité dans le temps et au-delà des cycles politiques ainsi que de nouvelles voies de coopération.