Le protocole de Nagoya et sa transcription dans le projet de loi français sur la biodiversité sont un pas en avant pour lutter contre l’accaparement abusif de ressources biologiques. Les populations locales devraient ainsi pouvoir mieux bénéficier des avantages issus de la commercialisation des éléments du vivant.Néanmoins, l’intérêt des entreprises privées reste prioritaire et la portée du texte paraît plutôt symbolique.



Conflits autour des ressources génétiques : la nature et les hommes sont perdants

La bioprospection, découverte et utilisation à des fins commerciales de ressources génétiques, peut rapporter gros. Il n’est alors pas étonnant que certains souhaitent s’approprier ces bénéfices et qu’apparaissent des conflits. Les populations locales peuvent voir leurs ressources naturelles vivantes exploitées et générer potentiellement d’importants profits, sans en bénéficier elles-mêmes, et alors même que leurs pratiques de gestion ont éventuellement contribué à les protéger. Le problème est donc à la fois d’ordre politique (l’inéquitable répartition des profits) et d’ordre pratique pour la conservation (les communautés ne seraient pas incitées à préserver les richesses de la biodiversité d’un territoire). En Afrique du Sud par exemple, il a fallu de très longues années aux communautés San pour faire reconnaître leurs savoirs ancestraux sur la plante hoodia gordonii, dont les propriétés connues de réduction de l’appétit avaient été précédemment brevetées, sans leur accord, et revendues aux laboratoires Phytopharm et Pfizer.



Vers un eldorado vert et équitable ?

Face à cette situation, le protocole de Nagoya sur l'accès et le partage des avantages (APA) a été adopté en 2010 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique, qui sont tous deux des textes internationaux contraignants. Le protocole, devenu depuis son entrée en vigueur en 2014 l’une des pièces essentielles de la gouvernance mondiale de la biodiversité, doit ainsi assurer le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques, ainsi que leur conservation et utilisation durable associées. Les permis de bioprospection délivrés aux entreprises et organismes et l’accès aux connaissances traditionnelles sont maintenant soumis à :

  1. l’obtention d’un consentement préalable donné en connaissance de cause par les États concernés et
  2. la signature de conditions convenues d'un commun accord pour le partage des avantages.

Important et nouveau, le respect de ces règles doit être à la fois assuré par les pays fournisseurs et utilisateurs de ressources génétiques. Les sommes versées dans le cadre des accords signés devront de plus être, au moins en partie, orientées vers la conservation de la biodiversité.

Le protocole, ratifié et retranscrit en loi au sein des États, permet ainsi de réguler l’accès aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels. Il constitue une base pour contester des brevets illégalement déposés et mieux redistribuer les bénéfices financiers et non financiers issus de l’utilisation de la biodiversité. En cela, il est un moyen d’inciter à la conservation et au financement de cette dernière.



Retour sur terre : un protocole d’une portée limitée

La portée du protocole reste pourtant limitée. Tout d’abord, le texte ne fait pas référence au système international des droits de propriété intellectuelle. Par conséquent, dans la plupart des pays industrialisés sièges des entreprises utilisatrices, les autorités chargées d’octroyer les brevets n’imposent pas de divulguer les informations relatives à l’APA (origine, consentement préalable, conditions convenues d’un commun accord). Certes, le protocole mentionne des certificats de conformité reconnus à l’échelle internationale et précisant les informations nécessaires pour l’APA, mais ceux-ci ne s’imposent pas au droit des brevets. Ce dernier reste donc indépendant. Le règlement européen (EU 511/2014) ne prévoit par exemple aucune disposition vis-à-vis de l’Office européen des brevets en tant que point de contrôle du respect des dispositions du protocole.

Ensuite, les Parties disposent en réalité de fait d’une marge discrétionnaire considérable pour décider de l’utilisation et de la répartition des versements financiers. Non seulement les États et les entreprises peuvent allouer ces financements à d’autres usages que la conservation, mais ils peuvent également se passer d’impliquer les communautés locales dans les procédures APA, réduisant ainsi leur intérêt à préserver biodiversité sur leurs territoires.



Et en France ?

Très bientôt en deuxième lecture au Sénat, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages permettra à la France de ratifier le protocole de Nagoya. Par rapport à la législation d’autres États, le texte est ambitieux.

D’un côté, le Titre IV du projet de loi stipule que « les avantages sont affectés à la conservation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées », ainsi qu’à « des projets bénéficiant directement aux communautés d’habitants concernées ». Même si cela reste flou, c’est un point positif pour la biodiversité et les communautés en France, en particulier en outre-mer.

De l’autre, contrairement au règlement européen, le projet de loi stipule que les demandeurs de brevet auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) adresseront les informations associées aux dispositions du protocole à ce dernier. L’INPI devient ainsi un point de contrôle, bien utile, pour contrôler le respect des dispositions du protocole. Le projet de loi français instaure en outre, ou renforce, ou simplement reprend des dispositions prévoyant un contrôle préalable à l’accès aux ressources génétiques (le premier « A » du dispositif APA pour Accès et Partage des Avantages).  Cela concerne, notamment, les demandes de subvention et les autorisations accordées à la recherche.

Trois points subsistent néanmoins, qui limitent la portée du texte :

  • premièrement, la question constitutionnelle liée au caractère autochtone des communautés concernées. En effet, il ne peut être fait référence à celui-ci dans un texte officiel, en vertu du principe d'indivisibilité du peuple français. Les communautés locales, d’outre-mer en particulier, auront ainsi bien du mal à s’approprier une juste part des bénéfices issus de la biodiversité de leurs territoires ;
  • deuxièmement, même s’il mentionne ce nouveau point de contrôle, le texte n’oblige pas l’INPI à refuser l’obtention d’un brevet si le consentement des communautés et un accord préalable n’ont pas été obtenus. Brevets et dispositions du protocole restent ainsi encore dissociés ;

  • enfin, la loi ne s’appliquera qu’aux brevets déposés à travers l’institut (français) national de la propriété intellectuelle... Les brevets déposés à travers l’office européen des brevets, valables en France si le déposant le souhaite, continueront à être soumis au règlement européen qui, comme mentionné précédemment, ne requiert pas les contrôles de l’accès mentionnés plus haut. Or, bien entendu, les brevets déposés pour le seul territoire français sont l’exception dans ce domaine : dans la mesure où l’on peut déposer un brevet pour toute l’Europe avec une procédure unique (certes plus onéreuse), l’intérêt de déposer un brevet à travers l’institut français est a priori limité, surtout si ce dernier met en œuvre des procédures (légèrement) plus contraignantes.

Au final, il n’est pas sûr que ni le protocole de Nagoya ni sa transcription en droit français ne permettent, à ce jour, de mieux préserver la biodiversité et de répartir plus équitablement les bénéfices qui en sont issus. Les dispositions du projet de loi auront donc une portée principalement symbolique et politique. Mais cette portée est importante : tout d’abord, la nécessité de consentement préalable et de juste partage influence de plus en plus les entreprises, par exemple de biocommerce, et les poussent à mieux contrôler leurs approvisionnements ; elle peut enfin, un jour, entraîner l’Europe à faire de même.


Lire aussi sur le sujet l'article de Romain Pirard (CIFOR) et Renaud Lapeyre (Iddri) paru dans le n°101 (1er trimestre 2016, pp.73-76) de la revue Liaison Énergie-Francophonie, « Protocole de Nagoya : les multiples facettes de sa mise en oeuvre ».