La transition économique actuellement en cours en Chine est nécessaire, même si elle s’accompagne de risques et de défis importants, notamment pour les politiques climatiques du pays. La Chine est en effet à la fois proche (si ce n’est déjà fait) d’atteindre son pic de charbon et, dans le même temps, sur la voie d’investissements massifs dans de nouvelles centrales à charbon. À terme, l’enjeu de politique publique en Chine sera non seulement de ne plus investir dans le charbon, mais de fermer le parc actuel de centrales, tout en prenant en compte les conséquences de cette transformation en termes sociaux, économiques et politiques.

Le principal producteur de charbon chinois, Shenhua, vient d’annoncer une série de dépréciations de ses actifs dans les secteurs de la production et du traitement du charbon, ainsi que des centrales électriques au charbon. Cela fait suite à l’annonce faite fin 2015 par l’Administration nationale de l’énergie chinoise selon laquelle la Chine n’autoriserait pas l’exploitation de nouvelles mines de charbon pendant trois ans, et allait fermer des milliers de petites mines.

Qu’est-ce qui motive cette décision, et quelles en sont les conséquences pour la politique chinoise et la mise en œuvre de sa « contribution nationale » dans le cadre de l’Accord de Paris ?

L’économie chinoise connaît un ralentissement considérable. La croissance du PIB réel a été estimée à 6,9 % en 2015, son niveau le plus bas depuis plusieurs décennies. Schématiquement, l’économie chinoise s’est développée sur un modèle économique non durable d’investissements très importants, de construction d’infrastructures et de croissance du crédit. Elle commence aujourd’hui à ralentir et à se restructurer. Il est très probable que cela représente un changement de tendance structurelle.

Cela a un impact significatif sur le secteur de l’électricité en Chine. Alors que les principaux secteurs consommateurs comme l’acier ralentissent et sont même en déclin, il en va de même pour la demande totale d’électricité. En Chine, on estime que cette dernière a diminué de 0,2 % en 2015 par rapport à 2014. Là aussi, ce chiffre doit être comparé à une tendance de croissance annuelle de 10 % depuis 2000.

Le facteur de capacité du parc de centrales au charbon, quant à lui, a chuté de manière significative, à 53 % en 2014, et certainement encore davantage en 2015 (entre 47 % et 50 %). En termes simples, de nombreuses centrales au charbon chinoises sont peu utilisées. Face à cette tendance, cependant, les investissements dans les centrales au charbon continuent (voir figure 1 ci-dessous). Cela représente un coût potentiel d’investissement échoué de 164 milliards de dollars, soit 1,6 % du PIB chinois total en 2014. Pourtant, beaucoup plus de centrales au charbon en sont à divers stades de planification.

Figure 1. Projets de centrales au charbon par rapport au parc existant et coût des investissements

Graphique

Sources: les données sur le parc existant proviennent d’Enerdata, celles sur les projets en cours sont issues de Global Coal Plant Tracker, celles sur le coût unitaire des investissements pour le charbon en Chine de l’AIE (2015), « Coûts prévisionnels de production de l’électricité ».

Les risques liés aux actifs échoués dans le secteur du charbon peuvent également être mis en évidence par l’analyse des ambitions de la Chine en matière d’énergie propre. Cette volonté de développer les énergies propres est alimentée par des préoccupations liées aux changements climatiques, à la sécurité énergétique et à la pollution atmosphérique locale. La proportion d’électricité non issue du charbon a augmenté de 6 points de pourcentage entre 2011 et 2014. L’objectif de la Chine est que les énergies non fossiles représentent 15 % de son approvisionnement en énergie primaire d’ici 2020, et 20 % d’ici 2030. Cela équivaudrait à une part de combustibles non fossiles dans l’électricité d’environ 34 % d’ici 2020, et de 44 % d’ici 2030. Dans le scénario énergétique développé par l’Université de Tsinghua dans le cadre d’un projet dirigé par l’Iddri, la part du charbon dans la consommation d’énergie primaire devrait rester stable jusqu’en 2030.

Quelles conclusions peut-on en tirer pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris par la Chine ?

Il apparaît de plus en plus probable que la Chine dépassera son objectif d’intensité d’émissions de CO2 de 2020, et que le pays est sur la bonne voie pour dépasser son objectif de 2030 et pour atteindre son pic d’émissions avant 2030 (voir ici pour une nouvelle étude le démontrant). Le ralentissement et la restructuration de l’économie chinoise permettront d’améliorer sensiblement l’intensité énergétique – un point soulevé par BP dans ses perspectives énergétiques présentées hier. Si tel est le cas, il se peut que les tendances historiques d’amélioration de l’intensité des émissions de CO2 soient trop conservatrices. Nous essaierons de repérer dans le 13e plan quinquennal, publié cette année, les signes confirmant que la Chine dépassera son objectif de 2020. Si la Chine montre qu’elle est sur la bonne voie pour dépasser ses objectifs de CO2, cela pourrait consolider le mécanisme de relèvement régulier de l’ambition de l’Accord de Paris.

Certains pourraient dire qu’il s’agit là du « bon résultat » (moins de CO2) pour de « mauvaises raisons » (moins de croissance). Mais ce serait ignorer à quel point le précédant modèle de croissance de la Chine était non durable. La transition économique en cours est souhaitable, même si elle présente des risques importants. Il est certain que le contexte de « nouvelle réalité » posera de nouveaux défis en matière de politique climatique chinoise. L’analyse présentée plus haut laisse à penser que la Chine atteindra bientôt son pic de charbon (si ce n’est déjà fait). Pourtant, les moteurs de l’investissement continuent, comme le montre l’étude des projets de centrales au charbon ci-dessus.

Le long délai qui existe entre le développement d’un projet, son approbation et sa mise en œuvre signifie que les industries à forte intensité de capital, comme la production d’électricité, sont historiquement sujettes à des cycles de surinvestissement. Cette « cyclicité naturelle » est probablement exacerbée dans le contexte chinois. La volonté politique de croissance et les distorsions causées par les mesures d’incitation de marché dans la répartition des capitaux ont entraîné d’importants investissements peu rentables dans l’ensemble de l’économie (des équipes de recherche chinoises ont estimé que les « investissement perdus » représentaient la moitié de l’investissement total dans l’ensemble de l’économie pour la période 2009- 2013).

Le risque qu’une telle bulle d’investissements apparaisse dans la capacité de charbon est donc réel – et en effet, la bulle existe peut-être déjà. Il apparaît urgent de mettre en place des incitations politiques et des règlements pour mettre fin à l’investissement dans le charbon. A plus long terme, le défi politique pour la Chine passera de l’arrêt de la construction de nouvelles centrales au charbon à la fermeture des centrales charbon existantes, et consistera à relever les défis sociaux, économiques et politiques qui en découleront.

Dans le même temps, le risque est qu’en raison de l’agitation économique, il reste moins de capital politique et financier à consacrer à la politique climatique. La Chine ne parviendra pas à se sevrer des investissements dans les infrastructures du jour au lendemain. Les investissements dans la protection de l’environnement et du climat pourraient permettre de poursuivre l’investissement productif, absorbant une partie de la baisse des investissements dans d’autres secteurs saturés (comme l’acier, le ciment et les centrales au charbon). L’offre en air pur n’est pas excédentaire en Chine ! Une réforme fiscale telle que la tarification du carbone pourrait être utilisée pour freiner l’investissement dans les secteurs excédentaires à forte intensité de carbone. Les recettes pourraient être recyclées pour promouvoir une restructuration économique et une plus grande égalité. En bref, le ralentissement économique offre également à la Chine l’occasion de combiner transition économique et environnementale.

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